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A propos d’Edward Snowden, Mémoires vives, Seuil, Paris, 2019.

Les appels à décréter « l’état d’urgence écologique » qui foisonnent aujourd’hui à l’adresse des Etats sont le dernier avatar d’une idée qui hante une partie du mouvement écologiste depuis longtemps. Compte tenu des liens historiques entre la dynamique des sociétés industrielles et la conception occidentale moderne de la liberté, enrayer l’aggravation des nuisances et la multiplication des catastrophes que ces sociétés provoquent supposerait d’engager une politique étatique volontariste, voire dirigiste, supposant de restreindre les libertés, que ce soit sous la forme d’un renouveau républicain ou d’une dictature verte1. Entre la nature et la liberté, il faudrait choisir – et vu le degré de dégradation environnementale déjà atteint, manifeste dans la brutalité de l’effondrement en cours du vivant, on n’aurait en réalité pas le choix.

Sur les terrains de lutte ayant une dimension écologiste, là où des gens se mettent en danger pour empêcher tel ou tel projet désastreux de se réaliser, qu’il s’agisse d’un méga-transformateur électrique pour exporter de l’énergie prétendument verte (comme en Aveyron où l’Amassada vient d’être expulsée manu militari), d’une mine de lignite (à Hambach en Allemagne où l’intervention de la police a provoqué un mort) ou d’une poubelle nucléaire (à Bure où les militants font l’objet d’une répression judiciaire acharnée), c’est un autre son de cloche que l’on entend en général. Les militant-es ne se battent pas pour que les prérogatives de l’Etat soient encore renforcées après deux décennies de lois « antiterroristes » (utilisées contre la contestation écologiste lors de la COP 21) et cinquante ans de politiques « sécuritaires », mais pour reconquérir une liberté que le capitalisme industriel, avec la complicité des Etats, nous a selon eux ravie. 

Dans les deux cas, il ne s’agit bien sûr pas de la même liberté – notion dont on sait à quel point elle est polysémique. Dans le premier discours, c’est la conception (néo)libérale de la liberté qui est en ligne de mire, c’est-à-dire la liberté d’échanger et de faire des affaires sans entraves (« laisser faire, laisser passer »), sur les deux plans individuel (« je fais ce que je veux ») et entrepreneurial (« dérégulation des marchés ») – et l’on retombe dans les vieilles ornières du débat opposant les libéraux aux interventionnistes, qu’ils se disent socialistes, républicains ou écologistes. Dans le second discours, c’est une autre idée de la liberté qui est en jeu, que les militant-es désignent en général par la notion d’autonomie en un sens qui ne se réduit pas au fait de « se donner ses propres lois » (l’autonomie politique, au sens étymologique), mais implique aussi de pourvoir à ses propres besoins – c’est de cela dont il est question quand on parle d’autonomie matérielle en général, et en particulier d’autonomie énergétique, alimentaire, médicinale, etc.

En visant à renforcer leur autonomie matérielle, les militant-es dénoncent implicitement une conception de la vie et de la liberté où, au lieu de faire par nous-mêmes les choses permettant d’assurer notre subsistance (comme l’ont fait la plupart de nos ancêtres jusqu’à la société de consommation, du moins ceux qui n’avaient ni esclaves, ni serfs, ni domestiques pour les servir), on les fait faire par d’autres instances qui nous délivrent ainsi des nécessités correspondantes. Le problème d’une telle « délivrance » est bien sûr qu’elle met sous la dépendance intégrale de ces instances privées et/ou publiques qui, prises ensemble, forment la société industrielle – un système capitaliste qui, en prenant en charge nos besoins, a fini par nous asservir. Et l’on comprend peut-être mieux notre impuissance à infléchir le cours catastrophique du monde actuel, tant nous sommes devenus dépendants, pour assurer notre vie quotidienne, de la bonne marche du système qui en est le principal moteur. L’impasse socio-écologique dans laquelle nous nous enfonçons chaque jour un peu plus est liée au fait que nous sommes, en Occident et ailleurs, devenus vitalement dépendants d’un système qui sape à terme les conditions de vie de tous les vivants.

De la liberté des Postmodernes comparée à celle des Modernes

Dans l’idée d’autonomie, il y a un geste profondément subversif, non seulement par rapport aux appels à décréter l’état d’urgence (qui reviennent à espérer que les pyromanes, une fois les pleins pouvoirs en main, se transformeront en pompiers2), mais aussi par rapport à la manière dont on se représente en Occident la liberté et son histoire depuis deux siècles : en gros, comme le lent et inexorable avènement de la « liberté des Modernes » dont le noyau dur serait le droit individuel de disposer d’une vie privée dans laquelle ni l’Etat, ni la société n’auraient leur mot à dire. Car le désir d’autonomie qui anime une partie du mouvement écologiste, et bien au-delà, invite à lire l’histoire autrement, à penser que si une conception de la liberté a triomphé, c’est l’aspiration à la délivrance – vieux rêve dont le transhumanisme incarne aujourd’hui la radicalisation high-tech : en promettant le dépassement de la mort et en faisant miroiter la colonisation de Mars aux riches qui s’inquiètent tout de même de leurs chances de survie sur la Terre dévastée, cette idéologie réactualise le fantasme d’être délivré des aspects négatifs de la condition terrestre. Or, ce fantasme s’est historiquement imposé contre les aspirations à l’autonomie des classes populaires qui, pendant des siècles, ne se sont pas battues pour être déchargées des nécessités de la vie, mais pour avoir libre accès aux moyens de subsistance, en premier lieu la terre, permettant de prendre en charge ces nécessités.

Dans le cadre de cet article, je ne vais bien sûr pas développer cette contre-histoire de la liberté. A défaut, je voudrais profiter d’une double actualité pour remettre en cause le récit établi et contribuer ainsi à la nécessaire mise à jour, vu le désastre en cours, de notre réflexion sur la liberté3 : d’une part, la parution des mémoires d’Edward Snowden, ultime héros de la « liberté des Modernes », et d’autre part le bicentenaire du discours de Benjamin Constant qui, en France et au-delà, a justement popularisé cette idée de « liberté des Modernes ».

En 1819, Constant a tenu à Paris un discours célèbre dont la thèse est devenue un lieu commun : contrairement aux Anciens (les Grecs et les Romains), pour qui la liberté était avant tout politique et se jouait sur le théâtre de la vie publique, les Modernes envisagent la liberté de manière individuelle, comme un bien qui s’apprécie à l’écart, dans la sphère privée. Snowden, l’informaticien qui a révélé en 2013 l’étendue de la surveillance électronique de masse à laquelle se livraient les Etats-Unis, est le dernier martyr de cette conception qui identifie liberté et vie privée4. Dans ce contexte, on peut se demander si nous sommes encore libres au sens moderne de Constant et, si ce n’est pas le cas, en quel sens nous nous sentons encore « libres ». Car l’affaire Snowden semble signifier que la liberté des Modernes est désormais révolue, remplacée par une nouvelle conception « postmoderne » de la liberté. A moins que nous n’ayons jamais été modernes au sens de Constant, auquel cas sa théorie aurait fait écran à ce qui constitue le cœur de la liberté moderne.

L’affaire Snowden invite à revenir sur le discours de Constant qui, relu attentivement, suggère en fait que le cœur de la « liberté des Modernes » qui domine l’Occident depuis quelques siècles n’est pas l’inviolabilité de la vie privée, mais le désir d’être délivré des nécessités pesantes de la vie. Dans la mesure où ce désir conduit à déléguer à des instances toujours plus lointaines la production et la distribution de tout ce que nous voulons pour assurer notre vie quotidienne, et parce qu’il nous rend ainsi prisonniers du système que forment ces instances, l’enjeu politique et écologique prioritaire n’est pas tant de restreindre les libertés (les États, avec l’aide des GAFAM, s’en chargent très bien) que de nous libérer de ce fantasme de délivrance qui va bien au-delà du libéralisme et du transhumanisme. Depuis Saint-Simon et Marx, il traverse aussi une bonne part des idéaux socialistes et des luttes pour l’émancipation, convaincues que le développement techno-industriel en est la condition sine qua non. Et aujourd’hui, c’est en son nom que le principe libéral de l’inviolabilité de la vie privée est en pratique aboli, comme le clament depuis des années Google et compagnie. Si nous nous précipitons avec tant d’entrain sur les dispositifs électroniques qui, de fait, finissent par rendre nos vies transparentes, c’est parce qu’ils contribuent à nous décharger de certaines nécessités de la vie quotidienne et de la condition terrestre auprès d’instances qui les prennent en charge et, par là, prennent en main nos vies individuelles ainsi que notre destin commun.

En repartant de Snowden pour se demander ce qu’il a vraiment révélé, et en revenant à un texte fondateur du libéralisme pour examiner ce que recouvre vraiment l’idée de « liberté des Modernes », on comprendra que la conception de la liberté qui domine nos esprits aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec cette inviolabilité de la vie privée que les théoriciens libéraux ont monté en épingle face à l’ascension du Léviathan étatique. Elle repose plutôt sur une volonté de délivrance qui a contribué à faire le lit du Léviathan climatique. En fait, l’affaire Snowden n’annonce pas tant la fin de la liberté des Modernes que le triomphe d’un désir de délivrance qui nous hante désormais au point de nous faire négliger les libertés civiles fondamentales. Ce qui se fait jour sous nos yeux, ce n’est pas un nouveau sens de la liberté (celui des Postmodernes), mais l’aboutissement de la quête moderne de délivrance, désormais délestée des garde-fous du libéralisme classique.

Ce que Snowden a révélé sur le plan philosophico-politique

Edward Snowden, jeune informaticien travaillant pour les services de renseignement étasuniens, dévoile en juin 2013 que la National Security Agency (NSA) a discrètement mis en place un espionnage de masse qui bafoue le droit à la vie privée claironné par son pays. Avec la complicité des GAFAM, elle collecte les « métadonnées » de toutes les communications téléphoniques et informatiques possibles, à l’échelle mondiale (qui s’adresse à qui, quand et combien de temps, qui consulte quel site ?)5, et peut même accéder au contenu de certaines communications – ainsi, la NSA a même mis sur écoute le portable d’Angela Merkel. Bien que Snowden se réclame de la constitution de son pays, qu’il trouve « géniale6 », il est accusé d’espionnage. S’ensuit une cavale internationale au cours de laquelle il demande en vain l’asile politique à nombre de pays. Ironie de l’histoire : au final, c’est dans la Russie dirigée de main de fer par l’ancien membre du KGB Vladimir Poutine que le héros américain de la vie privée trouve refuge…

Sans minorer la valeur d’une telle action, on peut toutefois se demander ce qu’a vraiment « révélé » Snowden. Car bien avant 2013, on disposait d’une foule d’enquêtes sur le maillage de plus en plus étroit de dispositifs électroniques de captage, de stockage et de traitement automatisés des données personnelles : cartes bleues, systèmes de géolocalisation, ordinateurs avec adresse IP, puces RFID, etc.7. Or, il serait naïf de croire que les quantités folles d’informations générées ne seraient pas utilisées par ceux qui y ont accès, afin d’accroître leur pouvoir. Tout se passe comme si le numérique permettait de réaliser ce qu’Arendt avait identifié comme « le but utopique de la police secrète totalitaire » : dessiner une carte montrant « les relations et le recoupement de relations de la population toute entière » afin d’« établir, à n’importe quel moment, qui est lié à qui, et à quel degré d’intimité ». Elle concluait : « En théorie, ce rêve n’est pas irréalisable, même si son exécution technique présente inévitablement quelques difficultés8 ». L’informatique a levé les derniers obstacles puisque les métadonnées « permettent de dessiner d’immenses graphes de liaisons entre personnes à partir de leur activité numérique9. ».

En réalité, les révélations de Snowden n’en étaient que pour celles et ceux qui ne s’étaient jamais interrogés sur les tenants et aboutissants de l’informatisation de leurs activités, ou qui ne le voulaient pas. Pour les autres, elles ne faisaient qu’administrer les preuves irréfutables de ce qu’ils avaient déjà dénoncé, dans l’indifférence générale. Le rappeler, ce n’est pas amoindrir le mérite de Snowden, mais mettre en évidence sa véritable contribution au débat, absolument décisive : avoir permis de démasquer les béni-oui-oui de la High-tech, qui taxent toute critique de « conspirationniste » ou de « technophobe ». Grâce à Snowden, on sait désormais que les discours rassurants sur la révolution numérique sont le fait, au mieux de grands naïfs se voilant la face, au pire de marchands de sable cyniques que l’informatisation du monde renforce et enrichit.

Si ses scoops n’étaient que des secrets de polichinelle, Snowden a quand même révélé, bien malgré lui, quelque chose d’important sur le plan historique et philosophique : la « liberté des Modernes » s’est effondrée, au sens où plus grand monde ne semble y tenir. Ou plutôt, ce n’est pas tant lui que « l’affaire Snowden » qui a révélé cet effondrement, c’est-à-dire les (non) réactions suscitées par la publication des documents qu’il avait subtilisés. La question qu’ils posent est celle de la privacy, de la confidentialité des communications et donc de l’inviolabilité de la vie privée. Or, ce principe est au cœur de la conception moderne et libérale de la liberté individuelle comme absence d’ingérence dans la sphère intime. L’individu doit bénéficier d’une sphère privée inviolable car, dans l’espace public où il se sait sous le regard des autres, il intériorise forcément la censure sociale. Garantir la confidentialité, c’est donc protéger la liberté d’expression et d’action. D’abord spécifiquement libérale, cette idée a fini par s’imposer à tous et l’inviolabilité de la sphère privée devint la « pierre de touche » de la liberté : c’est elle qui qualifiait, après la Seconde Guerre mondiale, le bloc de l’Ouest comme « monde libre », même aux yeux des marxistes qui y résidaient. Rappelons le tollé suscité, en 1974, par le projet dit SAFARI visant à l’interconnexion des fichiers de l’administration française : le gouvernement dut le retirer et mettre en place la Commission nationale de l’informatique et des libertés, censée nous préserver des effets liberticides du numérique – en réalité, elle ne fait que valider après coup la plupart des progrès du fichage, proposant tout au plus des aménagements à la marge7.

Si la sacralisation de la vie privée avait gardé de sa force, on aurait pu s’attendre – c’est ce qu’espérait Snowden – à ce que ses révélations provoquent une levée de boucliers de ce type. Il n’en fut rien. En France, la plupart des gens qui se disaient choqués n’envisageaient pas pour autant de modifier leurs pratiques de communication, comme s’il n’y avait rien d’essentiel à défendre ici, et donc aucune raison de se mobiliser ou de changer ses habitudes électroniques. Ce que l’affaire Snowden a révélé fut pour lui une cruelle désillusion : la liberté pour laquelle il avait pris tant de risques ne faisait plus vibrer grand monde10. Est-ce à dire que la liberté ne nous importe plus ? Ce n’est pas ce que suggère le matraquage idéologique persistant à vendre n’importe quelle réforme et n’importe quelle innovation dans l’emballage de la « liberté ». En réalité, l’indifférence suscitée par Snowden tient au fait que nous nous sentons toujours aussi « libres » qu’avant, comme si la violation de la vie privée n’affectait plus notre liberté. Mais alors, n’est-ce pas le mot liberté qui aurait changé de sens ? Si la véritable révélation de Snowden concerne la dissolution de la liberté des Modernes dans les réseaux de fibre optique, alors nous serions, comme Constant en son temps, à un tournant dans l’histoire du mot liberté, qu’il nous faudrait interroger à nouveau. Où en est-on dans l’histoire du sens de la liberté ?

La liberté des modernes selon Benjamin Constant

Pour répondre à cette question, revenons à Constant. Rédigé en pleine Restauration monarchiste, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes11 distingue deux genres de liberté rapportés à deux époques de l’histoire occidentale, l’Antiquité et les Temps modernes, dans le but de démontrer (contre les royalistes) la nécessité moderne du gouvernement représentatif et (contre les Jacobins) le caractère anachronique de la démocratie directe. Après avoir montré que la liberté des Modernes se singularise par son caractère privé, il remet les deux types de liberté dans leur contexte sociohistorique respectif afin de pointer les facteurs socioculturels permettant de comprendre le glissement historique de la liberté de l’espace public vers la sphère privée. En gros, cette évolution résulte de la taille croissante des sociétés modernes, de leur caractère de plus en plus commercial et de moins en moins esclavagiste, ainsi que des progrès de la civilisation : tout cela fait que les Modernes ont de moins en moins le temps et l’envie de s’occuper des affaires publiques.

Il résulte de ce que je viens d’exposer que nous ne pouvons plus jouir de la liberté des anciens, qui se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif. Notre liberté, à nous, doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée. […] Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. C’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances12.

Dans le contexte antique où tout poussait les hommes à s’intéresser à la politique, la liberté se définissait par la participation de chacun au pouvoir qui était un but en soi : chaque citoyen voulait prendre part à la politique parce qu’il y voyait un facteur d’accomplissement de soi et de dignité. Mais dans le monde moderne, la vie se recentre sur la sphère privée des activités personnelles. La liberté désigne alors la sûreté juridique, c’est-à-dire les garanties institutionnelles de pouvoir mener ces activités à notre guise, et il ne s’agit plus que d’un moyen en vue d’une fin, le bonheur qui se cherche dans la vie privée. Autrement dit, la sûreté n’importe que parce qu’elle garantit le versant personnel de la liberté des Modernes, la « liberté civile » qui consiste dans les « jouissances privées ». C’est cette liberté privée qui constitue le cœur de la liberté des Modernes, une liberté dont on jouit comme « particulier » au sein de la société dite civile (par opposition à l’Etat, qui incarne la sphère politique).

En définitive, c’est donc bien la distinction entre les sphères publique et privée, et l’exigence que la première n’empiète pas sur la seconde, qui constitue l’axe central de la liberté des Modernes. Pour Constant, l’existence se partage en deux sphères et la liberté est le nom donné à la frontière qui les sépare, « à la barrière au-delà de laquelle toute intervention de la société est illégitime13 ». La distinction du public et du privé n’est certes pas une invention moderne : les Anciens la connaissaient, mais ils recherchaient la liberté dans la sphère publique de la Cité. Pour les Modernes en revanche, la liberté se joue dans la vie privée, ce qui suppose qu’elle soit protégée par la constitution.

Pour autant, Constant n’en conclut pas qu’il faille se contenter de la liberté privée. Car si la Révolution a montré le danger d’un engagement politique débridé, l’Empire napoléonien a illustré la menace que représente le repli complet dans la sphère privée. Comme la tyrannie peut résulter autant d’un excès que d’un défaut de participation politique, Constant cherche en 1819 un juste milieu[9] : contre un modernisme politique satisfait qui ne voit pas les dangers de la liberté des Modernes, il invite au final à « combiner » les deux genres de liberté et exhorte ses contemporains à l’engagement politique, seul garde-fou contre le despotisme[10].

Dans cette conclusion, Constant s’emmêle les pinceaux. Cet appel final à ne pas se laisser aller à une pure liberté des Modernes n’est qu’un vœu pieux à la lumière de sa théorie causale de l’évolution de la liberté : Constant savait pertinemment que les quatre facteurs justifiant le développement de cette liberté (la taille croissante des sociétés, le développement du commerce et celui du travail libre, le raffinement de la civilisation) étaient amenés à se renforcer, et il n’a jamais envisagé d’y mettre des bornes. Mais de ce fait, son appel à aller à contre-courant des tendances lourdes de son temps contredit le principe même de son argumentation, selon lequel les institutions doivent être appropriées aux humains pour lesquels elles sont faites : « Puisque nous vivons dans les temps modernes, je veux la liberté convenable aux temps modernes14 », c’est-à-dire l’indépendance privée.

Les facteurs sociohistoriques poussant les Modernes à embrasser une pure liberté privée n’ont en tout cas pas cessé de se renforcer depuis 1819, comme l’ont déploré non pas les libéraux qui se réclamaient de Constant, mais les ultimes partisans de la liberté des Anciens, tel Cornelius Castoriadis qui dénonçait quant à lui la « privatisation des individus » à l’œuvre à notre époque15. Mais tout le problème aujourd’hui est que cette liberté a en réalité perdu son socle sociologique : la sphère privée comme espace inviolable d’indépendance individuelle s’est réduite comme peau de chagrin avec le développement des grandes entreprises, de l’Etat social et des médias de masse – tant et si bien que Snowden renonce carrément à essayer de définir cette coquille effectivement vide16 dans laquelle ses cyber-adversaires ne voient, avec cynisme mais réalisme, qu’une relique du passé17. Nous pouvons donc revenir à notre question de départ : puisque nous persistons malgré tout à nous sentir « libres », en quel sens prendre ce terme ? Et puisque ce n’est manifestement ni au sens des Anciens, ni au sens des Modernes, la question qui se pose semble de savoir quelle serait la « liberté des Postmodernes » ?

Les biais idéologiques de l’idée de liberté des Modernes

Poser le problème en ces termes, c’est le poser de manière biaisée, en prenant trop au sérieux l’idée de « liberté des Modernes ». Car cette idée induit trois biais : une vision linéaire de l’histoire de la liberté, comme s’il s’agissait d’un long fleuve tranquille nous menant de la participation politique à la sûreté juridique ; une approche réductrice des conditions de la liberté, comme si la Constitution suffisait à la garantir ; enfin, l’occultation de ce qui fait vraiment la valeur de la liberté individuelle aux yeux des Modernes, et qui ne tient pas tant à l’inviolabilité de la vie privée qu’à la délivrance à l’égard des nécessités de la vie, notamment celles liées à notre inscription dans la nature et la société. Ce faisant, on comprendra pourquoi nous nous sentons toujours aussi « libres », en dépit des révélations de Snowden : parce que le système étatico-industriel, si liberticide soit-il, nous délivre toujours plus des limites et des contraintes liées à la vie humaine sur terre.

Le premier biais, quand on s’interroge après Constant sur l’avènement d’une hypothétique « liberté postmoderne », tient à la conception linéaire de l’histoire de la liberté que cette formulation suppose. Comme si l’histoire de la liberté pouvait prendre la forme d’une simple succession de concepts caractérisant chacun une époque. En réalité, depuis qu’elle est devenue une valeur centrale, la liberté a toujours fait l’objet de débats et de conflits passionnés. Si tant est qu’on puisse l’écrire, son histoire ne peut être que celle, tumultueuse et tortueuse, de ces conflits.

Constant a certes diagnostiqué un aspect essentiel de la liberté moderne : la tendance au  repli sur la sphère privée. Mais il ne souligne autant la dimension historique de sa distinction que pour masquer sa dimension sociale : en réalité, les formes de liberté ne caractérisent pas tant des époques qui se suivent que des groupes sociaux qui s’affrontent, même si l’hégémonie historique d’une classe peut faire que sa conception de la liberté domine et caractérise l’époque en question. De ce point de vue, le souci de la vérité inciterait à parler de liberté bourgeoise plutôt que de liberté des Modernes. Mais le propos de Constant n’était pas tant historique que politique. Ce n’est pas en historien qu’il tient son discours de 1819, mais en politicien qui fait campagne et sera élu député quelques semaines plus tard. Et lors de ce meeting, son but premier est de discréditer ses principaux adversaires politiques depuis la Révolution, les Jacobins, en ringardisant leurs appels à la participation populaire. Pour suggérer que la liberté comme participation est dépassée et en détourner ses auditeurs, il la renvoie à Mathusalem alors que, loin d’être vieillotte et désuète, elle était justement trop vivace à son goût, notamment chez les masses paysannes et le peuple de Paris. En fait, Constant projette sur l’histoire une lutte qui se jouait au présent. Ou plutôt, il creuse un gouffre historique entre deux visions de la liberté qui ne cessent de s’opposer dans l’histoire, aussi bien de nos jours que dans l’Antiquité18.

La modernité politique est en fait loin de se limiter à la liberté des Modernes. Face à cette conception libérale qui réduit la liberté à la seule protection juridique, il y a toujours eu une tradition républicaine plus favorable à la participation politique. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la conclusion de Constant, qui invite à combiner les deux modèles, c’est-à-dire à réintroduire dans son libéralisme un zeste de républicanisme pour pallier les dangers d’une pure liberté des Modernes. Repousser la participation dans l’Antiquité et identifier la sûreté à la modernité relève donc de la rhétorique politique, non de la vérité historique.

Ce débat se poursuit de nos jours, et l’on serait tenté d’y chercher une solution à notre problème : si la conception libérale de la liberté s’est effondrée, cela ne signifie-t-il pas que l’on revienne, par un mouvement de balancier, à la conception républicaine ? C’est ce que suggère Thierry Ménissier dans La liberté des contemporains. Pourquoi il faut rénover la République19un des rares ouvrages académiques à avoir identifié le problème sur lequel butte actuellement l’idée de liberté des Modernes. Toutefois, il est clair que l’effondrement de l’inviolabilité de la vie privée ne remet pas seulement en cause l’approche libérale, mais aussi la conception républicaine de la liberté, dont elle est aussi un pilier. Le néo-républicanisme en vogue dans la pensée universitaire n’étant pas la solution au problème posé par la faillite de la liberté des Modernes, il va falloir la chercher en dehors du débat entre ces deux conceptions. Si la fin de la vie privée butte désormais sur une indifférence aussi massive que les appels à l’engagement civique, n’est-ce pas parce que la question de la liberté se pose sur un autre plan que celui dessiné par l’alternative libéralisme versus républicanisme ?

Pour répondre à cette question, encore faut-il avoir identifié sur quel plan se joue ce débat : un plan essentiellement juridico-politique, c’est-à-dire politique au sens étroit des institutions étatiques. On en arrive ainsi au second biais de la problématique de Constant : sa focalisation sur les conditions institutionnelles et même constitutionnelles de la liberté. Face aux Ultras qui exigeaient le retour pur et simple à l’absolutisme, on peut certes comprendre que Constant ait vu dans la Constitution « la garantie de la liberté d’un peuple20 ». Mais depuis, il est devenu clair que la liberté effective ne dépend pas seulement des droits fondamentaux et de l’agencement des institutions, mais aussi de conditions sociales et matérielles. Si l’on dépend d’une instance supérieure pour assurer ses besoins, on se retrouve « à sa merci » et donc potentiellement en situation d’impuissance et d’oppression : on sera obligé de se plier à toutes ses exigences, si arbitraires soient-elles, puisque notre survie en dépend. Le pouvoir, au sens de la faculté de gouverner les conduites, ne se réduisant pas au Pouvoir, c’est-à-dire à l’État, la liberté ne se réduit pas non plus à ses conditions constitutionnelles. Si la problématique de Constant est biaisée, c’est aussi en raison de ce réductionnisme constitutionnaliste qui le pousse à définir la liberté des Modernes par la seule inviolabilité de la vie privée.

Le désir de délivrance au cœur du libéralisme moderne

J’en arrive au troisième biais du concept de liberté des Modernes. En nous demandant, suite à l’affaire Snowden, en quel sens nous sommes encore libres, nous présupposions que l’inviolabilité de la vie privée constituait le cœur de la liberté moderne. Mais il faut lever une équivoque : son « cœur », est-ce sa définition ou ce qui fait que nous nous sentons libres ?

On peut douter que l’inviolabilité privée soit vraiment ce qui fait que les Modernes se sentent libres. Car ce critère se situe sur un plan constitutionnel trop abstrait, trop éloigné du quotidien pour rendre la liberté désirable : l’inviolabilité de la vie privée est certes cruciale quand elle fait défaut, mais elle est sinon impalpable. Nous pouvons dès lors reformuler le problème posé par Snowden. Si nous nous sentons toujours libres aujourd’hui, ce n’est peut-être pas que le sens de la liberté aurait fondamentalement changé, mais plus simplement que l’inviolabilité de la sphère privée n’était pas la seule chose qui faisait la valeur de la liberté aux yeux des Modernes, ou la chose principale qui faisait qu’ils se sentaient libres. Mais alors, quelle qualité constituait le cœur de la liberté bourgeoise ?

Relu de près, le discours de Constant nous donne des éléments de réponse. Si le système représentatif est la traduction institutionnelle de la liberté des Modernes, qu’est-ce qui fait que ces derniers, non seulement l’acceptent, mais le désirent ? Cela tient à l’indisponibilité politique des modernes : à partir du moment où la liberté se vit avant tout dans la sphère privée, « plus l’exercice de nos droits politiques nous laissera de temps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse. De là vient la nécessité du système représentatif », présenté par Constant comme une « organisation à l’aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même », c’est-à-dire comme une « procuration donnée à un certain nombre d’hommes par la masse du peuple21 ». Donner procuration, c’est faire faire à d’autres ce qu’on ne veut pas faire soi-même, c’est-à-dire leur déléguer des tâches pour en être déchargé. Ce qui suppose que les affaires publiques sont vécues comme une charge ou un fardeau dont on veut être délivré.

Être délivré du poids des activités politiques, avec toutes les tensions qu’elles impliquent : voilà un attrait de la liberté des Modernes bien plus tangible que l’inviolabilité privée – surtout en 1819, après trente ans de Révolution, de guerres napoléoniennes puis de Restauration. Mais si l’on retourne au texte de Constant, on constate que cet attrait est lié à un autre désir de délivrance, cette fois vis-à-vis des activités pénibles liées aux nécessités matérielles de la vie. Comme le suggère l’analogie que fait Constant avec les gens riches qui, au lieu de gérer leurs affaires eux-mêmes, « prennent des intendants21 », la représentation politique ne tient pas seulement à un manque de temps, mais aussi à un manque d’envie : c’est parce qu’on a d’autres envies qu’on a moins de temps à consacrer aux affaires publiques. Et ces envies résultent de ce que les nations modernes, explique Constant, « veulent le repos ; avec le repos, l’aisance ; et comme source de l’aisance, l’industrie22 ».

Le repos au sens de l’absence de troubles politiques et de guerre, l’aisance au sens du « confort bourgeois » défini par l’accès à des commodités qui facilitent le quotidien et le rendent agréable, l’industrie au sens du travail assisté par les machines : tel est bien le Panthéon qui domine depuis, tellement différent des valeurs bellicistes et frugales de l’Antiquité. Cette réorientation axiologique se traduit dans le texte de Constant par le fait que les deux libertés sont présentées dans des vocabulaires différents : dans celui de l’« exercice » pour la liberté antique et, en ce qui concerne la liberté bourgeoise, dans celui de la « jouissance » au double sens ancien, juridique et hédoniste, de la possession de certains biens (on jouit d’une propriété) et du plaisir qui en est retiré. Tout cela suggère que la volonté de délivrance bourgeoise va bien au-delà de la politique : la quête de repos et d’aisance, c’est-à-dire de « jouissance paisible », dénote le désir d’un allègement des conditions de vie. Et ce désir de délivrance politique et matérielle structure l’imaginaire moderne de fond en comble, de l’économie politique libérale au marxisme en passant par l’hédonisme consumériste. Le fait que le désir de « jouissance paisible » a conduit à l’industrialisme et par là à la frénésie actuelle n’empêche pas que, sur le plan imaginaire, le fantasme de dépasser la nécessité, de surmonter la rareté et même le travail, soit au cœur de la fuite en avant industrialiste. De même, le désir de repos ne signifie bien sûr pas que nos sociétés soient moins belliqueuses que celles de l’Antiquité.

Nous n’avons jamais été aussi moderne

Ce que signe l’affaire Snowden n’est donc pas tant la fin de la liberté des Modernes que celle de l’interprétation libérale qui la définissait par l’inviolabilité de la vie privée. En réalité, ce critère constitutionnel, effectivement bafoué aujourd’hui, masque le fait que les Modernes aspirent d’abord à autre chose, à la délivrance à l’égard des nécessités politiques et matérielles de la vie sur terre. C’est justement ce que suggère l’indifférence suscitée par les révélations de Snowden. C’est aussi ce que confirme une lecture attentive de Constant. Et c’est également ce qu’une histoire de la liberté moderne montrerait. Car face à la conception libérale de la liberté comme délivrance à l’égard des soucis matériels et politiques, le socialisme a souvent, dans ses tendances marxistes dominantes, surenchérit sur ce désir de délivrance en rêvant de surmonter le « règne de la nécessité » par le productivisme industriel et de dépasser la conflictualité sociale dans « l’administration des choses23 ».

Si nous persistons à nous sentir libres aujourd’hui, malgré l’ampleur de la surveillance électronique dont nous sommes l’objet, c’est parce que le système étatico-industriel continue à nous assurer cette délivrance, encore renforcée par la plupart des dispositifs électroniques incriminés : leur attrait ne tient qu’au fait qu’ils nous déchargent d’une foule de micro-contraintes quotidiennes, voire, pour les adeptes de la cybergnose, de nous délivrer de notre corporéité, qui nous assigne à un espace-temps délimité et à une identité fixe24. La seule spécificité de la situation actuelle est, de ce point de vue, que le désir de délivrance semble désormais délesté des garde-fous constitutionnels du libéralisme classique, comme l’exigence d’inviolabilité de la vie privée. L’affaire Snowden et les modes intellectuelles ne doivent donc pas nous conduire à nous demander quelle serait la « liberté des Postmodernes », mais à nous réinterroger sur la liberté des Modernes. Car les désirs actuels ne font que prolonger, de manière obsessionnelle, une quête de délivrance pluriséculaire, comme l’illustre le transhumanisme et sa quête de délivrance vis-à-vis de la condition humaine25.

Face au désir de délivrance, il y a néanmoins toujours eu une autre conception de la liberté, si minoritaire soit-elle devenue aujourd’hui : l’autonomie, c’est-à-dire le désir de prendre en charge soi-même ses conditions d’existence. Il se manifeste aujourd’hui dans le mouvement des zad ainsi que dans les franges non technocratiques de la pensée écologiste. Si la question de la liberté doit être reposée, et telle est la leçon philosophique de l’affaire Snowden, ce n’est donc pas dans les termes de l’alternative libéralisme versus républicanisme, mais dans ceux de l’opposition entre autonomie et délivrance. Car le désastre en cours fait que les questions politiques ne se posent plus seulement en termes constitutionnels, comme lors de l’avènement du Léviathan étatique. Et si la quête de délivrance à l’égard des nécessités de la vie sur terre, le désir d’un allègement de nos conditions de vie jusqu’à l’apesanteur, jusqu’à l’idée de quitter la terre pour mener une vie extra-terrestre, a fait le lit du capitalisme industriel et du saccage de la planète, il faut rompre avec cet imaginaire et revaloriser l’autonomie comme une manière de revenir sur terre, de revenir à une vision terrestre de la liberté, compatible avec la préservation de nos conditions de vie sur notre planète fragile. En tout cas, c’est une perspective plus enthousiasmante que celle d’un état d’urgence écologique qui conduirait à une restriction draconienne du peu de libertés qui nous reste.

  1. Dans Le Principe responsabilité (1979), Hans Jonas évoquait la nécessité d’une « tyrannie bienveillante » pour faire face aux problèmes écologiques posés par la société technologique, et dans une thèse intitulée « Ecologie et liberté : libéralisme versus républicanisme » (2014), Augustin Fragnières estime que la question écologique implique de revenir à une conception (néo)républicaine de la liberté – c’est-à-dire à une conception qui subordonne la liberté individuelle à l’intérêt général. Ces deux thèses sont de plus en plus présentes dans les débats académiques et médiatiques au détriment de l’idée, qui remonte au moins à Bernard Charbonneau, que la défense de la nature et celle de la liberté vont ensemble – de la liberté en un sens qui se situe par-delà l’opposition libéralisme versus républicanisme.[]
  2. Les Etats modernes n’ont jamais fait grand-chose et, pour des raisons structurelles, ne risquent pas de prendre des mesures d’envergure contre la cause profonde du désastre en cours : le développement économique et industriel que ces Etats organisent et stimulent, puisque leur puissance et celle des élites qui le dirigent en dépendent. A ce propos, voir la tribune de Matthieu Amiech, « Les gouvernements font partie du problème, pas de la solution », Reporterre, 29/08/2019 (https://reporterre.net/Les-gouvernements-font-partie-du-probleme-ecologique-pas-de-la-solution).[]
  3. Sur les raisons pour lesquelles la situation actuelle impose de repenser la liberté, voir Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Evénement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Le Seuil, 2016 (nouvelle édition), p. 54-56.[]
  4. Comme il l’annonce dans la préface, « ce que l’on nomme aujourd’hui, à l’ère de la révolution d’Internet, “vie privée” » n’est autre « que ce que l’on appelait “liberté” pendant la révolution américaine ». Edward Snowden, Mémoires vives, Paris, Le Seuil, 2019, p. 15 (voir aussi p. 371.[]
  5. Voir Le Monde, notamment le dossier du 22 octobre 2013.[]
  6. Edward Snowden, Mémoires vives, op. cit., p. 254.[]
  7. Un an avant Snowden, nous avions par exemple publié avec le Groupe Marcuse La Liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer, Paris, La Lenteur, 2012 (rééd. 2019). Pour l’écrire, nous nous étions inspirés des enquêtes qu’avaient publiées en France PMO (RFID : la police totale. Puces intelligentes et mouchardage électronique, Montreuil, L’Échappée, 2008) ou Michel Alberganti (Sous l’œil des puces. La RFID et la démocratie, Arles, Actes Sud, 2007).[][]
  8. Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Gallimard (Quarto), Paris, 2002, p. 777.[]
  9. Le Monde, 5 juillet 2013. Sur les métadonnées, voir Snowden, Mémoires vives, op. cit., p. 200 et suivantes.[]
  10. Comme tout lanceur d’alerte, Snowden espérait « divulguer des informations pour qu’une pression publique s’exerce sur l’institution ». Mais plus loin, Snowden reconnaît à demi-mot qu’il a été naïf : il a entretenu, « de manière sans doute idéaliste, […] l’espoir qu’une fois que [l’ensemble de ses concitoyens] auraient pris la mesure de l’étendue de la surveillance de masse du gouvernement américain, ils se mobiliseraient et demanderaient justice » (Snowden, Mémoires vives, op. cit., p. 267 et 330). Comme la CNIL, l’administration Obama s’est contenté de légaliser par la suite la majeure partie de ce que faisait la NSA.[]
  11. Benjamin Constant, « De la liberté des anciens comparée à celle des modernes », in Benjamin Constant, Ecrits politiques, Gallimard (Folio), Paris, 1997, p. 591-619. Cet essai a popularisé une distinction que Constant avait déjà exposée, avec quelques variantes, dans des textes antérieurs, et qui était au cœur des réflexions du « groupe de Coppet » dont il faisait partie en Suisse, avec Germaine de Staël et Sismondi[]
  12. Ibid., p. 603.[]
  13. Tzvetan Todorov, Benjamin Constant, la passion démocratique, Hachette, Paris, 1997, p. 37.[]
  14. Benjamin Constant, « De la liberté des anciens…», Ecrits politiques, op. cit., p. 612.[]
  15. Cornelius Castoriadis, Capitalisme moderne et révolution, Paris, Union Générale d’Édition, 1979, Tome II, p. 69.[]
  16. Voir les deux pages que Snowden consacre à l’idée de vie privée (un « espace négatif », une « zone vide », une notion qui « paraît creuse puisqu’elle est indéfinissable » – Mémoires vives, op. cit., p. 232-233).[]
  17. Je pense à la déclaration de Mark Zuckerberg qui, en 2009, justifiait la suppression de paramètres de confidentialité en expliquant que cette norme sociale, jadis nécessaire, devait « évoluer avec son temps » (cité par Sherry Turkle, « Entre Facebook et ses utilisateurs, un amour déçu », Le Monde, 10 avril 2018). Notons que tel était exactement l’argument que Constant opposait aux Jacobins…[]
  18. Une analyse historique précise montrerait que si la « liberté des Anciens » correspond bien à l’eleutheria grecque, avec sa dimension démocratique, la libertas romaine est quant à elle plus proche de la « liberté des Modernes », avec sa dimension oligarchique et sa promesse de sureté juridique. De même, le mouvement des Gilets jaunes a rappelé en France que le désir de participation démocratique est toujours aussi puissant dans les classes populaires, malgré tout ce que les élites ont fait et continuent à faire pour les en dégoûter.[]
  19. Thierry Ménissier, La liberté des contemporains. Pourquoi il faut rénover la république, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 2011.[]
  20. Constant, Principes de politique (1815), cités d’après le recueil Ecrits politiques, op. cit., p. 305.[]
  21. Benjamin Constant, « De la liberté des anciens… », Ecrits politiques, op. cit., p. 615.[][]
  22. Idem, p. 598.[]
  23. Tout le mouvement socialiste, notamment au XIXe siècle, n’aspire bien sûr pas à des formes de délivrance et l’on retrouve chez Marx aussi la valorisation de l’autonomie. Pour plus de nuances sur la manière dont la délivrance a progressivement contaminé les désirs d’émancipation, voir Aurélien Berlan, « Autonomie et délivrance. Repenser l’émancipation à l’ère des dominations impersonnelles », Revue du M.A.U.S.S., n° 48 (2016), p. 59-74 ; id., « Le citoyen augmenté. Un nouveau stade dans l’aspiration à se délivrer de la politique », L’Inventaire. Revue de critique sociale et culturelle, n° 5 (2017), p. 17-38.[]
  24. Un attrait de la vie sur Internet auquel Snowden a été sensible dans sa jeunesse (voir Mémoires vives, op. cit., chapitre 4), sans jamais tomber dans la cybermystique des geeks rêvant de télécharger leur esprit.[]
  25. A ce propos, lire Jacques Luzi, Au Rendez-vous des mortels. Le déni de la mort dans la culture moderne, de Descartes au transhumanisme, Vaour, La Lenteur, 2019.[]