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Le célèbre point Godwin correspond au moment où une discussion sombre dans l’inanité lorsqu’un des interlocuteurs renvoie l’autre au nazisme, c’est à dire à un néant argumentatif. L’enjeu n’est plus la démonstration, mais la disqualification. La politique au sens large a ses points Godwin, l’écologie aurait-elle son point Greta ? Plus une discussion sur l’écologie dure, plus la probabilité d’y aborder le sujet Greta Thunberg augmente. Cette personnalisation est certes gênante, mais force est de constater que depuis plus d’un an nombre d’affects politiques se sont agrégés sur sa personne et ses prises de parole. Alors se met en place une mécanique presque irrésistible : on est soit classé dans le camp des supporters transis de l’activiste suédoise soit dans celui des accusateurs et calomniateurs. Les interlocuteurs ont alors franchi le point Greta ; la discussion se fige, les arguments se durcissent. Dans ce siphon discursif, toute la gamme des passions numériques s’accumulent : outrance, mauvaise foi, caricature, auto-aveuglement, besoin de se rassurer ou de se singulariser, idolâtrie, etc. La difficulté est que ces deux camps existent effectivement : dire que « Greta Thunberg est le miracle que j’attendais » (Yann Arthus-Bertrand) ou qu’elle « change le monde » (Obama) est grotesque ; celui des vitupérateurs et insulteurs publics est encore plus fourni1.

Pour autant, il est encore possible d’évoquer l’action de Thunberg depuis dix-huit mois tout en refusant ces camps qui se regardent en chien de faïence. L’enjeu ici n’est pas d’endosser sans réserve l’ensemble de ses discours et prises de position, mais de comprendre les significations et les potentialités de ses interventions, à travers et au-delà de sa personne. Répéter de manière compulsive qu’elle est le nouveau piège tendu par l’oligarchie mondiale n’est guère intéressant. Ce qui l’est davantage, c’est de voir dans cette époque désaxée les lignes de fuite : l’activiste suédoise porte un devenir-déserteur redoutable autant qu’un devenir-institutionnel inoffensif ; une ligne d’échappée belle tout comme une ligne de retour dans le rang. Elle n’est pour l’instant ni Louise Michel ni une énième tête de gondole du capitalisme vert.

Il est d’ailleurs absurde d’attendre d’une personne de dix-sept ans qu’elle ait mis au clair l’ensemble des questions écologiques présentes alors que la pensée et les luttes contemporaines écologiques y ont collectivement échoué. Croire qu’elle aurait un discernement général sur l’ensemble des domaines que traverse et renverse la perspective écologique, c’est précisément prêter à Thunberg des pouvoirs qu’elle ne peut avoir. Étonnamment, certaines critiques anti-Thunberg, qui lui reprochent de ne pas développer une analyse globale du capitalisme ou de méconnaître l’histoire et la philosophie des sciences, trahissent une conception providentialiste de la politique et de l’histoire : attendre d’une personne ou d’un événement exemplaire qu’ils fassent basculer une situation désespérée… Or, nous tournons tous dans la nuit du présent et nous n’avons que des lumières intermittentes et des savoirs incomplets. Dans ce clair-obscur, peut-être que Thunberg se révélera un papillon de nuit ivre de lumière et un beau leurre politique. Mais envisageons pour le présent que son surgissement, malgré ses angles-morts, représente une trouée féconde.

L’enjeu n’est pas de sous-peser l’ensemble des dits et écrits de Thunberg comme on examinerait l’œuvre d’une autrice, mais de souligner la force d’effraction de certaines de ses interventions2. Ce n’est pas un plaisir d’esthète que de voir dans ses prises de positions un rapport singulier à la vérité, mais une manière d’échapper au point Greta.

La parrêsia est parole vraie, engagée et risquée

En 1984, lors de son dernier cours au Collège de France, Michel Foucault discute et conceptualise une notion importante héritée de l’antiquité classique : la parrêsia, qu’on peut traduire par le dire-vrai, le franc-parler ou encore le courage de la vérité3. La rhétorique, « le bien-dire », s’oppose à la parrêsia, « le dire-vrai », sur trois plans successifs. Là où la rhétorique s’intéresse à la manière de dire et à la mise en forme du langage en vue de remporter l’adhésion du public, la parrêsia se fonde d’emblée sur le partage du vrai et du faux : cette exigence conduit celui qui s’exprime à parler directement et clairement, sans artifice et sans ostentation. Un ton sobre au service de la vérité : « Notre civilisation est sacrifiée pour permettre à une poignée de gens de continuer à gagner d’énormes sommes d’argent. Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches, dans des pays comme le mien, puissent vivre dans le luxe (…) Vous parlez de poursuivre les mêmes mauvaises idées qui nous ont mis dans ce pétrin, alors que la seule réaction logique est de tirer le frein à main. (…) Et si les solutions sont introuvables à l’intérieur du système, alors peut-être devons-nous changer de système. (…) Le vrai pouvoir appartient au peuple. » Un mois plus tard à Davos elle insiste : « Certaines personnes disent que nous ne faisons pas assez pour combattre le changement climatique. Ce n’est pas vrai, parce que pour ne pas faire assez, il faudrait déjà que nous fassions quelque chose, et la vérité est que nous ne faisons rien. »

Alors que la finalité du rhétoricien est de faire croire un discours en usant de la persuasion, la parrêsia oblige le locuteur à adhérer à son énoncé : il énonce une vérité avec laquelle il fait corps et qui constitue une conviction personnelle, l’être parlant coïncide avec le contenu de son discours. Après avoir rappelé ce qui fonde son engagement : « Je tiens à la justice climatique et à une planète vivante », Greta Thunberg remet en cause la volonté qu’affichent les dirigeant à trouver une réponse qui soit à la hauteur de la catastrophe écologique qu’ils ont engendrés et qu’ils approfondissent en faisant perdurer les structures économiques et politiques actuelles : « Nous ne sommes pas venus ici pour supplier les dirigeants du monde de s’inquiéter. Vous nous avez ignorés par le passé et vous nous ignorerez encore. Nous sommes à court d’excuses et nous sommes à court de temps. Nous sommes venus ici pour vous dire que c’est l’heure du changement, que cela vous plaise ou non. Je ne veux pas de votre espoir, je veux que vous paniquiez, que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours et que vous agissiez ». L’insistance sur la panique à communiquer et à répandre ne relève pas d’une passion morbide d’auto-destruction, mais rappelle la formule du philosophe Allemand Günther Anders : « Inquiète ton voisin comme toi-même ». Après les catastrophes de la Première Guerre mondiale, puis du nazisme et d’Hiroshima, ce dernier avait retourné et reformulé l’impératif biblique « Aime ton prochain comme toi-même » pour l’adapter à des temps de mise en péril de l’humanité : se hisser à la hauteur d’une situation d’extrêmes dangers nécessite de faire connaître les raisons de l’horreur autour de soi, première condition pour se mettre en capacité d’agir collectivement et détruire les processus destructeurs. 

How dare you ? / Comment osez-vous ?

Enfin, la parrêsia est une prise de parole risquée : là où la rhétorique cherche à flatter, plaire et rendre dépendant autrui par un discours mensonger, la vérité portée par la parrêsia est souvent blessante pour ses destinataires. Elle peut en outre blesser en retour son énonciateur : les effets de cette prise de parole sont imprévisibles et suppose donc une bonne dose de courage. De l’école cynique antique,  en passant par Socrate qui prend le risque de dire la vérité et de déplaire, pour se retrouver ensuite stigmatisé et accusé, jusqu’à Pascal (« Nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent »), la mise en jeu de l’existence au prix de la vérité traverse tout un pan de la pratique et de la vie philosophique. Greta Thunberg affirme fin 2018 à la COP 24 : « Vous n’êtes pas assez matures pour dire les choses comme elles sont. Même ce fardeau, vous le laissez à nous, les enfants. Mais je me moque d’être populaire. (…) En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j’ai des enfants, peut être qu’ils passeront cette journée avec moi. Peut-être qu’ils me demanderont de parler de vous. Peut-être qu’ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps d’agir. Vous dites que vous aimez vos enfants par-dessus tout et pourtant vous volez leur futur devant leurs yeux. » Près d’un an plus tard, elle interpelle à la tribune de l’ONU : « Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan. Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Je fais pourtant partie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ! » À propos de la réduction des émissions de CO2 à accomplir en peu de temps pour rester sous le niveau des 1,5 degrés, elle poursuit : « Comment osez-vous prétendre que cela puisse être résolu avec les solutions habituelles et certaines solutions techniques ? (…) Vous nous avez laissés tomber. Mais les jeunes commencent à comprendre votre trahison. Les yeux de toutes les générations futures sont sur vous. Si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais. Nous ne vous laisserons pas vous en sortir comme ça. C’est ici que nous fixons la limite. Le monde se réveille, et le changement arrive, que cela vous plaise ou non. » 

La spécificité du dire-vrai, autant que sa force, se trouve dans la symétrie qui le soutend. L’exigence qu’il porte s’applique en effet autant à soi qu’aux autres et conduit à mener de front transformation intérieure et ébranlement au dehors : se battre contre soi aussi bien que contre tous les autres et, in fine, admettre qu’être traversé par quelques vérités doit bouleverser l’existence et renverser l’ordre du monde. De manière seulement ébauchée on trouve dans ces discours un ensemble de thèmes puissants : critique du rapport cannibale au temps et à l’histoire du capitalisme, de la dangerosité d’un système social qui encourage la lâcheté des adultes, de l’argent, de la croissance économique, d’une structure de pouvoirs ainsi que l’exigence montante « ni oubli, ni pardon ».  Toutefois, en disant « je veux que vous agissiez », Greta Thunberg fait montre d’un rapport apparemment contradictoire à l’inaction qu’elle dénonce dans la mesure où elle semble encore concevoir que puisse suffire une demande adressée à ceux qui nous gouvernent.

Faire savoir le scandale

Pour s’orienter et se battre, il est essentiel d’identifier nos adversaires résolus autant que nos alliés potentiels. Plutôt que de procéder par associations successives non démonstratives (comme si poser un pied dans une enceinte de l’ONU ou de Davos signifiait nécessairement absorption par l’élite capitaliste), analysons la trajectoire et les discours de Thunberg. Notre hypothèse est que la tentative de neutralisation de l’activiste suédoise par les puissants est pour le moment ratée. D’où la furie des éditorialistes et polémistes à son encontre car elle déborde la fonction qu’avaient cru lui assigner ses différents hôtes. Thunberg ne s’en tient pas au rôle de petit pupitre « jeunesse » qui lui était prescrit dans le script général des grandes réunions internationales. Par certaines prises de parole, elle a retourné l’ordre du discours et en quelques minutes a parfois contribué à mettre à terre une énorme machinerie discursive gouvernementale et internationale de mise en somnolence des esprits.

Pour comprendre le bruit et la fureur que Thunberg produit, procédons à une histoire contre-factuelle. Au lieu de la mise à l’index médiatique qu’elle a subie, les tenants de l’ordre dominant auraient pu procéder à un repli stratégique classique, réduisant leurs discours à l’expression d’une conscience malheureuse faussement auto-culpabilisante : « oui, si la forme de son discours est quelque peu maladroite voire outrancière, au fond, cette fille a raison, nos sociétés ont fait fausse route avec un usage excessif des énergies carbonées, nous avons compris les scientifiques et les erreurs qu’ils pointent. D’ailleurs, l’économie est en voie de réorientation et la société se corrige : les chercheurs, les ingénieurs et les politiques sont en train de travailler d’arrache-pied pour mettre en place une nouvelle infrastructure énergétique pour y remédier. Avec les smarts cities, les réseaux intelligents, la 5G, la production d’énergies renouvelables locales et l’intelligence artificielle, une disruption technologique et une vague d’innovations vont répondre aux principaux enjeux écologiques ». Bref, la promotion des solutions du capitalisme vert ou de la transition énergétique aurait été non seulement possible mais plus maline, car elle aurait crédité l’idée, dans une partie de l’opinion publique, de la capacité du système en place à se métamorphoser techniquement sans en passer par une profonde transformation politique. Or, la réaction quasi-unanime des éditorialistes visant à disqualifier Thunberg peut être lue comme un révélateur du caractère parrèsiaste de ses interventions. 

Son action initiale est née d’un dégoût et d’une révolte Le geste de Thunberg peut être interprété comme la mise à feu d’un dispositif de savoirs au potentiel explosif, restés jusque-là sans artificière. Elle a suivi une stratégie qui est de faire savoir et de faire voir la monstrueuse factualité de notre présent, stratégie qu’on peut résumer ainsi : « il y a ici de la documentation scientifique, c’est de la dynamite, si on la lit attentivement. Ces savoirs n’invitent pas à conserver l’ordre établi mais au contraire engendre une profonde mise en crise de celui-ci. Le sale petit secret de l’époque et de la société industrielle se trouve en partie ici, dans ces rapports. Cela devrait tous nous immobiliser de frayeur et nous obliger à interrompre le cours de nos vies. » 

Et elle a interrompu le cours de sa vie, et enjoint d’autres à faire de même. Bien entendu, son recours aux rapports du GIEC est limité et insuffisant et plusieurs de ses préconisations témoignent d’un imaginaire politique qui oscille entre un appel à subvertir les autorités en place et une déférence vis-à-vis des sciences. Mais, là encore, peut-on attendre d’une jeune activiste un niveau de problématisation politique que bien des acteurs du champ intellectuel n’égalent pas ? En l’occurrence, d’avoir en tête les principaux courants critiques des sciences développées depuis plus d’un demi-siècle et les apports majeurs du champs de la sociologie et de l’histoire des sciences et des techniques depuis presque autant de temps ? 

Le point essentiel est que la stratégie de Thunberg vise à dire le vrai, c’est-à-dire à produire un diagnostic sur l’état matériel et culturel calamiteux du globe, non pas à persuader ou à plaire. Ici le « vrai » ne désigne pas le fond de casserole de l’époque, qu’il faudrait révéler par l’exercice d’une critique acérée : c’est la posture que privilégient certains rares lucides incompris, suivant une vision providentialiste de l’histoire. A vrai dire, Thunberg est à l’opposé d’une telle compréhension de la vérité. En un sens, elle fait montre d’une humilité bien supérieure à ses détracteurs car elle ne prétend jamais y avoir accès par elle-même. Elle dit simplement : « je n’ai pas la vérité, mais il existe certaines institutions qui historiquement les fabriquent de manière plutôt robuste lorsqu’il s’agit de savoir ce qui arrive au vivant et à la Terre, écoutons-les ». Ce faisant, elle met au pied du mur les grandes organisations internationales, les entreprises et les gouvernement qui ont collectivement participé à la création de ces institutions. Et c’est ici que s’ajoute un second niveau de l’usage de la vérité. Non plus uniquement la vérité comme énonciation des faits, mais la vérité qui se situe dans la différence entre un régime de promesse et les actions historiquement menées. Cette vérité fonctionne alors comme arme de dévoilement : « le portrait du ravage que vous-mêmes avez contribué à produire, les larmes que vous prétendez verser pour les vies présentes et à venir, vous les niez en permanence derrière vos mensonges, et vos mensonges nous détruisent. »

Greta Thunberg et l’insurmontable scandale

Souvenez-vous de cette scène centrale de The Square4 où un artiste réalise une performance afin d’animer un dîner de fortunés pour récolter des fonds ? Censé imiter un gorille, l’acteur dévie rapidement de son rôle, installe un climat inquiétant, et le jeu de la représentation où le sujet est censé faire rire, divertir puis disparaître explose et se transforme en une présence menaçante et redoutable. En quelques secondes, l’atmosphère bascule : médusés, les riches mécènes sont paniqués devant cette situation incontrôlable et dangereuse. Un homme se lève pour tenter de s’interposer, mais l’artiste est devenu insubordonné, la confiance en sa propre puissance empêchant toute domestication. Pourchassé, l’homme prend la fuite et les convives, tétanisés, restent emmurés dans un silence glaçant. Têtes baissées, les assis doivent subir une situation oppressante. Alors, tout est possible, y compris le pire5. Payé pour divertir, l’artiste ne répond plus au cahier des charges. L’écart entre le moi et l’acteur est dissout, l’artiste ayant entièrement fusionné avec son rôle. Voilà un symptôme de l’ébranlement qui se joue actuellement dans nombre de subjectivités : ne plus être divisé entre le moi à inventer et le moi social, fonctionnel, usiné par les besoins de la machine sociale.

Par certains traits, Greta Thunberg a engendré un trouble semblable : dans les cénacles où elle intervenait, elle n’a produit ni récréation ni respiration, mais installé une atmosphère pesante et inconfortable au-dedans et libératrice au dehors6. Le monde présent n’est plus supportable, les réunions des puissants ne doivent pas l’être davantage. Pape, directrice du FMI, ancien président Obama, célébrités du show-bizness, forum de Davos, etc., une partie de l’élite tente d’annexer à son profit ou de désactiver le noyau subversif de l’activiste suédoise. Ces scènes d’instrumentation plutôt ratées, où des d’individus viennent se recharger en crédit auprès de Thunberg, montrent le pathétique d’acteurs qui comprennent qu’ils ont perdu l’ancien pouvoir magique où leur parole avait une autorité et une efficace. On sait depuis longtemps que le cours de la parole a sombré sous la ligne de flottaison, mais l’effet Greta Thunberg ou Gilets Jaunes est de rappeler la différence de nature entre la rhétorique et la parrêsia. Polie, mais globalement indifférente à cette séduction, Greta Thunbgerg reste jusqu’à présent non soluble dans les arènes où elle se rend. 

La scène politique centrale que Greta Thunberg ouvre est bien plus qu’une révolte primesautière qui s’insurge contre le cynisme inoxydable de ceux qui sont au pouvoir : c’est une certaine manière de s’adresser au genre humain sans se détourner – et sans détourner – d’une vérité avec laquelle d’autres sont aussi susceptibles de faire corps. Du moment où elle reste incontrôlable et fidèle à quelques intuitions initiales, qu’elle garde pour seul viatique d’affecter le grand nombre en soulignant l’immensité du scandale, de rappeler l’abîme entre notre monde et ce que nous jugeons juste, joyeux et décent, elle pourra être considérée comme une alliée. Tenir Greta Thunberg comme une alliée, c’est juger souhaitable ses interventions médiatiques à chaque fois qu’elle réussit à faire surgir conjointement le scandale et le possible. L’enjeu présent est bien de convertir l’écologie dominante, devenue désormais rumeur du monde obsédante mais impuissante, en puissance destituante, en culture matérielle, en inventions multiples sur les façons d’habiter la terre.

  1. Voir l’échantillon sidérant, mais non exhaustif, qu’a capturé le journaliste Samuel Gontier ou la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=JL3XWTG9Krk[]
  2. voir https://www.terrestres.org/2019/10/13/qui-sont-vraiment-les-activistes-de-lapocalypse/[]
  3. Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II, Paris, EHESS, Gallimard, Seuil, 1984.[]
  4. Film réalisé par Ruben Ostlund, palme d’or 2017.[]
  5. La scène finale s’achève par l’agression d’une femme et une rixe victorieuse des invités contre l’artiste.[]
  6. Rappelons ici que les coups d’éclat médiatiques masquent le patient travail de liaison et de rencontres que Greta Thunberg réalise depuis dix-huit mois à travers l’Europe et les USA, en participant à plus d’une centaine de manifestations de grève du vendredi. La stratégie du mouvement climat a fait et doit faire l’objet de nombreuses critiques, mais n’oublions pas que l’action de Thunberg est biface : interventions médiatiques et activisme moins spectaculaire.[]