Temps de lecture : 14 minutes

Retour à la Hague est le récit d’une aventure éditoriale entre trois femmes : l’autrice Xavière Gauthier, son éditrice Isabelle Cambourakis et l’anthropologue Sophie Houdart, dont l’enjeu est la republication du texte anti-nucléaire de Xavière Gauthier, La Hague, ma terre violentée, paru pour la première fois en 1981.

Le livre réunit la correspondance entre les trois femmes qui ont permis l’existence de ce livre ainsi qu’un texte de Xavière Gauthier publié en 1981 et une lettre qu’elle adresse à Greta Thunberg en 2022. Xavière Gauthier se définit comme une « femme en lutte » qui défend une pensée écologiste et anti-nucléaire. Elle est à l’origine de plusieurs livres, notamment, Les Parleuses, livre-entretien avec son amie Marguerite Duras. Elle fonde en 1975 la revue littéraire et artistique, Sorcière, qui propose un espace de lutte et d’expérimentation par l’écriture.

Texte poétique, philosophique et activiste, La Hague, ma terre violentée de Xavière Gauthier, est d’abord publié par extraits dans la revue Sorcière. Ce n’est qu’en 1981 qu’il est publié en entier chez Mercure de France. Un an auparavant, elle consacre un numéro entier de Sorcière à la lutte écologique depuis une perspective féministe intitulé « La nature assassinée ». A cette époque, plusieurs activistes réfléchissent à des modalités d’actions et de résistances. Ainsi, Françoise d’Eaubonne, théoricienne et invitée du numéro, est la première et la seule, à l’époque, à utiliser le terme d’« écoféminisme ». Ensemble, elles rejettent le choix politique de nucléariser le pays pour assurer la production d’électricité à grande échelle. Elles réfléchissent à une nouvelle manière de concevoir notre monde à venir.

Carte postale ancienne de la hague en noir
Carte postale ancienne fournie par les éditions Cambourakis de La Hague en noir.

Des années plus tard, je découvre le travail et l’engagement de Xavière Gauthier lorsque je commence à m’intéresser à la mémoire des luttes antinucléaires. Nous sommes à l’été 2017, la répression à Bure commence à devenir asphyxiante. Je cherche des gens qui se sont battu contre le nucléaire en France, bien avant nous à Bure – à ce moment, je crois que je fouille dans le passé à la recherche d’un peu d’espoir. Je me mets en quête de victoires et d’histoires de femmes. Je tombe rapidement sur la lutte de Plogoff et surtout, sur l’image d’Épinal de ces femmes sur les barricades, nuit et jour harcelant les CRS pendant l’enquête d’utilité publique de 1980. Alors, je commence un mémoire de sociologie à l’EHESS sur une quinzaine de femmes qui ont participé à la lutte de Plogoff. Auprès de ces femmes, je découvre une tout autre incarnation à l’équation « féminisme et antinucléaire » que celle portée par Xavière Gauthier ou Françoise d’Eaubonne. Les femmes que je rencontre ne se revendiquent ni du féminisme ni de l’écoféminisme, certaines d’entre elles ne se revendiquent même pas militante écologiste. Pourtant, elles aussi ont incarné un certain « écoféminisme » quasiment invisible dans les mémoires militantes et universitaires des luttes antinucléaires. Dans mes recherches, je chemine aux côtés d’Isabelle Cambourakis, nous écrivons ensemble « If you love this planet, des femmes contre le nucléaire », un article sur les positionnements féministes et antinucléaires de Françoise d’Eaubonne, Xavière Gauthier, Antoine Foucque et des femmes en lutte demeurées anonymes (celles de Plogoff et d’autres luttes antinucléaires) pour la revue Panthère Première.

Deux ans plus tard, au moment de la publication, des copines de Terrestres me contactent. Est-ce que tu pourrais écrire sur cette réédition ? Cela fait maintenant deux ans que je ne travaille et ne suis plus engagée activement sur les questions de nucléaire et de féminisme. Je ne me sens plus légitime. Mais il “faut” saisir chaque occasion d’en parler, tenter de lier les combats, faire cheminer la pensée et écrire, écrire.

Je pense à Lisa. Nous nous sommes rencontrées en 2018 alors que la lutte à Bure était asphyxiée par la répression, et qu’avec quelques un.e.s nous cherchions des manières de continuer à parler, de s’informer, de se former autour du nucléaire. Une de ces manières fut l’organisation d’un séminaire autour du nucléaire pendant un peu plus d’un an à l’EHESS (Paris). Nous nous sommes rencontrées après la deuxième séance, celle sur les féminismes dans les luttes anti-nucléaires. Je me souviens, tu étais venue me voir après, tu m’avais dit : “ Moi j’ai grandi à la Hague ».

A cette époque, nous avions toutes les deux étés touchées par la lecture de La Hague, ma terre violentée. Comme le reste de nos conversations sur le nucléaire, nous avions évoqué cette lecture en terrasse, puis nous l’avions laissée de côté. Peut-être parce que le sujet “nucléaire” finissait toujours par nous coincer. Le nucléaire trop puissant, nous, minuscules à côté.

Ce texte écrit à quatre mains, c’est une tentative, après avoir lu la réédition, de mettre des mots. Nous vous invitons à rejoindre notre table, à partager un bout de nos questionnements et ressentis sur la réédition de La Hague, ma terre violentée.

La Hague : se confronter au déni

La lecture d’un tel texte est toujours ambivalente. Il y a de l’appréhension et de la curiosité. Une réjouissance à lire quelque chose sur la région qui ne soit pas un texte purement scientifique sur l’usine ou un dépliant touristique niant complètement le nucléaire. Mais à chaque fois c’est cette même confrontation au déni. Parce que vivre dans la Hague c’est forcément s’accommoder de l’usine, l’oublier, s’arranger avec elle. Longer ses longs barbelés, deviner les cheminées au-delà des monts de Vauville, la savoir derrière la brume, toujours. Et se réfugier sur la côte nord, là où elle disparaît. Le texte est donc traversé par cette tension, ce désir de savoir, de lever le flou sur cette usine et la peur d’en savoir trop. Personne n’a envie de tomber sur une étude certifiant le nombre de becquerels que l’on mange quand on décortique le crabe que l’on a dans notre assiette. Plus d’innocence non plus dans les baignades à Ecalgrain, là où les taux de radioactivité sont les plus forts.

En même temps, cette lecture est précieuse, elle nous tient. C’est une trace parmi d’autres dans la mémoire parsemée de trous des luttes anti-nucléaires françaises. Surtout, c’est une archive importante dans la mémoire non-transmise, non-écrite d’un “écoféminisme vernaculaire” . Ces mémoires antinucléaires et féministes, qui sont pleines d’ellipses et qui dialoguent depuis peu entre elles semblent importantes tant elles peuvent devenir des appuis pour nos luttes en cours et à venir.

Après cette lecture, la question de l’archive, de la mémoire et de sa transmission nous revient par vagues.

Dans mon mémoire sur les femmes de Plogoff., j’allais chercher les traces de la lutte dans leurs vies, je traquais les transformations que sept ans de lutte ont marqué dans leurs corps, en tant que femmes et en tant que mères.

carte postale ancienne omonville la rogue
Carte postale ancienne de la Corentine et la Côte jusqu’à Cherbourg.

Aujourd’hui, avec ces histoires de femmes des années 1970 en tête, avec les traces de Bure en moi, je me suis demandé ce que faisait d’avoir grandi dans la sensation d’un échec antinucléaire. Ça faisait quoi à Lisa, aux autres habitant.e.s de la Hague, aux jeunes qui se cherchent entre la ville et le monde rural, entre partir et revenir. Comment lutter, habiter ces espaces où la sensation d’échec est là, partout ? Puis, je me suis dit que les quelques années à Bure m’avaient transmis ce même goût amer, quand bien même la lutte est toujours vivante et riche de nouvelles personnes qui s’y engagent et la redynamisent par strates.

Alors, victoires, défaites, comment se transmet cette mémoire ?

A Plogoff, j’ai appris auprès des femmes avec qui j’ai fait des récits de vie que c’était un rapport au monde qu’elles transmettaient à leurs enfants plutôt qu’une militance spécifique à la lutte antinucléaire.

L’idée d’aménager leurs mondes pour protéger leurs enfants voire continuer à militer pour le bien de leurs enfants (et pour leur donner l’exemple) est un point commun entre toutes les femmes que j’ai rencontré. C’est aussi une façon de dire que par l’imprégnation quotidienne des parents politisés, on met au monde et on offre des rapports au monde. La lutte et plus largement les années 1968 dans lesquelles elle s’ancre a nourri un terreau fertile pour les réflexions autour de la sexualité, de la grossesse et de l’éducation des enfants. Ces réflexions ont été mises en pratique pendant mais surtout après la lutte lorsqu’il y avait plus d’énergie pour consacrer plus de temps et d’espace à l’éducation des enfants. Cette idée d’une mise en pratique est à analyser dans un moment post lutte que certaines considèrent comme un « repli sur l’intime », c’est à dire, un moment où on consacre plus de temps à sa famille, à sa maison, à soigner et panser les conséquences de l’après lutte. Cette idée s’insère aussi dans un contexte où les conditions régionales (école Diwan) et structurelles ont changé́ (développement des éducations alternatives par exemple). Quant à ce que sont devenus leurs enfants, nous pouvons au moins constater dans la majorité des cas une transmission des gestes quotidiens plu-tôt que du goût de l’engagement à travers une lutte, une association, un collectif ou même un parti politique. Pour reprendre l’expression de Julie Pagis, leurs enfants apparaissent plutôt comme des héritiers du quotidien que comme des militants.

Aujourd’hui, j’apprends surtout que transmettre ce n’est pas reproduire, c’est sans cesse questionner nos rapports au monde. Peut-être relier ces mémoires antinucléaires et féministes participe à ce même mouvement qui anime beaucoup d’entre nous je crois. Comment peut-on faire famille, avec nos héritages ? Comment veut-on hériter pour faire quelles familles ?

S’inscrire dans une dynamique de transmission, c’est peut-être accepter de se laisser bousculer dans le retour à la “campagne” que nous sommes en train de vivre, avec toutes nos valises féministes et écolos à faire et à défaire sans cesse, pour “vivre avec”.

Ce qui nous a manqué dans la réédition de ce livre, c’est cette dynamique. Nous avons senti Xavière Gauthier crier seule sur son rocher. Nous avons de la peine à nous retrouver dans ce cri solitaire. Nous avons de la peine à nous retrouver dans la reproduction de cette solitude prégnante dans le geste de réédition. Nous sommes face à ces trois voix de femmes, trois solitudes puissantes qui, à leur manière expriment la colère, la peur, l’attachement et l’envie de résister, encore. Mais comment résister ? Comment habiter ces héritages ? En criant seule ? Nous aurions aimé rencontrer dans cette réédition, des voix d’habitant.e.s, des personnes qui luttent contre le nucléaire sur place. Nous nous demandons pourquoi les mères en colère sont absentes de cette réédition. 

Un droit d’inventaire

Redécouvrir ce texte de Xavière Gauthier aujourd’hui est une étape importante dans la composition de nos féminismes mais cette réédition aurait pu notamment s’accompagner d’un travail de recontextualisation. Ce texte illustre une position féministe et anti-nucléaire singulière à l’époque mais n’avons-nous pas besoin aujourd’hui d’élargir ces questionnements en s’inspirant d’autres luttes queers et antiracistes ? La question n’est pas de condamner le texte en lui-même. Nous y lisons un héritage féministe que nous souhaitons aujourd’hui travailler et dépasser. Quelque chose nous tient à cœur : dépasser le sentiment de solitude que créé l’industrie nucléaire en nous.

Cette solitude est dérangeante, même si nous la comprenons. Elle nous rappelle surtout que nous avons besoin d’être ensemble pour lutter contre cette industrie et que nous aspirons à créer des moyens, des lieux et des liens qui nous donnent de la puissance. Il y a peut-être un enjeu générationnel qui fait que nous ne pouvons pas vivre avec le nucléaire et lutter contre dans une atmosphère si accablante ( “j’apprends qu’il n’y a plus d’espoir” p. 139). Aussi, nous ne nous retrouvons pas dans un discours catastrophiste dénonçant l’inacceptable de cette industrie. Habiter et tenir à un territoire nucléarisé voire contaminé oblige bien souvent à jongler entre la révolte, le déni et une forme de pragmatisme. Nous ne voulons donc pas incriminer les gestes d’une politique dite “de résilience” (compteur Geiger, voir les discussions autour du fait de vivre sur un territoire contaminé – voir en fin de texte la référence à l’essai Fukushima et ses invisibles). C’est à cet endroit-ci que nous souhaitons relier nos réflexions et engagements anti-nucléaires et féministes. Nous souhaitons intégrer nos engagements à partir de nos vies, qu’ils y soient ancrés dans les territoires ruraux où nous vivons. Cela nécessite d’être lucide sans (se) paralyser. En cela, le sentiment de solitude que nous éprouvons à la lecture ne nous permet pas de nous mettre en mouvement.

Ce que cette lecture nous révèle ce sont nos féminismes en construction. C’est le fait que nous avons grandi à la campagne et que nous avons construit nos féminismes en ville. Qu’aujourd’hui nous retournons habiter à la campagne et que nous nous interrogeons sur les postures féministes à adopter alors. Évidemment, les zones rurales ne sont pas exemptes de mouvements féministes. Mais nous nous sentons dans une sorte d’impasse lorsque nous lisons des textes comme celui de Xavière Gauthier car a priori, cette littérature devrait nous parler car elle s’inscrit là où nous avons grandi et souhaitons vivre actuellement. Pourtant, l’essentialisme de ce texte nous rend impossible le fait de nous reconnaître comme héritières. Nous nous questionnons sur le geste de rééditer ces passages essentialistes sans les requestionner, les contextualiser à l’aune des réalités de vie des femmeS habitant en zone rurales jusqu’aux théories queer.

Pour en revenir au livre, notre idée principale est de dire que ni la “nature” ni le genre ne sont des notions “naturelles”. C’est pourquoi nous ne soutenons pas des extraits du texte réédités comme tel où les successions métaphoriques construisent une image fantasmée où les femmes et la nature seraient mues par une même force : “Et parfois je repense à cette force de la nature et du féminin. Cette force lente, endurante, patiente – des arbres – ( des femmes ?); cette force souterraine, imprévisible, circulante – des rivières – ( des femmes ?) […] cette force mugissante, écumante et jamais en repos – des mers – (des mères ?). ” Cet extrait reflète l’ensemble de la teneur essentialisante de la pensée de Xavière Gauthier dans cet ouvrage. Cela se décline dans l’utilisation du terme “viol” quand est évoqué l’idée que l’Homme viole la Terre : “Ah, secoue-toi, tu ne vas pas te laisser violer, tu ne vas pas te laisser blesser, humilier, tu ne vas pas te laisser empoisonner le ventre, secoue-toi.” (p.76) Ou bien dans l’idée que les “femmes” auraient une part de “sauvage” en elles :“Et j’en appelle tout particulièrement aux femmes, en ce qu’elles sont moins ligaturées de social et de sa bienséance, en ce qu’elles ont gardé d’animalité, de sauvagerie, de torrentueux.”(p.165).

Nous mettons en avant ces extraits car ils résonnent avec de nombreux discours sur la maternité présents dans les luttes anti-nucléaires depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Aussi nous tenons à conclure par un extrait portant sur la maternité qui nous a touché :

“ (porter un petit, au lieu de rentrer dans le rang, de m’aligner, je vois bien que je déborde, que j’excède, je vois bien que cette enflure, cette dilatation, dépasse les bornes, et que rien ne peut endiguer son flot de lave, contenir son trop plein – excroissance du ventre tendu à craquer leur enfermement – , je vois bien que je m’aventure dans la folie. D’un enfant, de cette écharde-là, je sais d’avance qu’on ne guérit jamais.)”

Cet extrait nous a rappelé un passage des Argonautes de Maggie Nelson dans lequel l’essayiste revendique le pouvoir subversif que peut être une grossesse : « Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose d’essentiellement queer dans la grossesse elle-même, en ce sens qu’elle altère profondément l’état “normal” d’une personne… ». Nous avons voulu lire dans cet extrait un espoir, quelque chose qui nous fait dire que le travail sur l’archive est indispensable pour pouvoir s’en saisir. Cet écoféminisme “queer” est en train de s’écrire depuis des endroits différents, dans des luttes, des mémoires, des essais, des films et si nous avons tenté d’écrire sur cette réédition c’est pour prendre part à ce mouvement qui nous anime, qui a fait bouger nos lignes et qu’on aspire à ce qu’il fasse bouger de plus en plus de lignes. Nous avons davantage envie de nous inspirer de cet “écoféminisme queer” plutôt que de succomber à l’effondrisme.

Pendant que les champs brulent, à la Hague, les lignes bougent

Aujourd’hui, la lecture de ce texte résonne tout de même avec la dynamique nouvelle que connaît la presqu’île. En novembre 2021, le collectif Piscine Nucléaire Stop s’est créé face au projet EDF de construction d’entreposage sous eau de combustibles usés sur le site d’Orano-La Hague. Le groupe a vu le jour à la suite d’une concertation publique organisée par EDF qui, arrivant en terrain conquis, ne pensait pas devoir faire face à une quelconque résistance. Le collectif a organisé de nombreuses réunions d’information afin de comprendre les enjeux de ce nouveau chantier et apporter une alternative au discours servi par les communiquant.es d’EDF. Un carnaval s’est déroulé dans les rues de Beaumont Hague où les habitant.es ont pu faire le procès du bonhomme EDF, jugé coupable et brûlé sur « l’aire de manifestation » du chef-lieu de la Hague. Une grande manifestation s’est tenue à Cherbourg en juin et de nombreux rassemblements ont eu lieu lors des intervention publiques organisées par EDF. Xavière Gauthier est par ailleurs venue participer à une lecture collective de son propre texte en octobre dernier. Des comités locaux ont vu le jour, permettant aux habitant.es de se rencontrer et de s’organiser au sein des différentes communes. Cette mobilisation, un peu inespérée, a réussi à faire reculer la concertation du projet qui est désormais élargi au département de la Manche. Cette modeste victoire n’est pas anodine parce que c’est la première sur la Presqu’île où le nucléaire ne fait plus débat. L’arrivée d’un ultime chantier est-ce pourtant la goutte de trop ? La Hague n’est pas une poubelle, voilà ce qu’on lit sur le bord des routes, sur les banderoles accrochées sur les bottes de foin. Et c’est un slogan partagé par beaucoup, anti-nuc ou pas, salarié.es de l’usine ou agriculteur.rices, jeunes ou moins jeunes. L’une des questions soulevées par la mobilisation est la revendication de la lutte antinucléaire. Pour le moment, cela s’identifie davantage à une lutte de territoire. C’est aussi pour cela que les alliances sont possibles, que de nouvelles personnes se laissent tenter par les réunions et qu’une quelconque mobilisation est possible. Ce sont des nouvelles têtes qui prennent parfois la relève dans les prises de paroles publiques. Depuis de longues années, le discours anti-nucléaire est porté par des figures connues dans la région. Les associations effectuent un travail laborieux et précieux de veille juridique, elles continuent à demander et fournir des informations sur les usines, que ça soit à l’EPR de Flamanville ou à Orano dans la Hague. Cependant elles peinent à connaître d’autres adhérent.es et la mobilisation reste très difficile.  

Les personnes engagées ne partagent pas toujours la ligne anti-nucléaire, même si personne n’ignore les engagements de tout un chacun.e, mais elles se retrouvent sur la défense commune d’un territoire auquel on a déjà beaucoup pris. Certain.es parlent d’une lutte pour la dignité : « trop c’est trop ». Ce qui est pointé du doigt par le collectif c’est d’abord l’opacité du processus décisionnel autour du projet puisque l’industrie nucléaire s’impose une nouvelle fois sans offrir véritablement la possibilité à la population locale de s’exprimer. Mais ce sont aussi les conséquences concrètes du chantier : la construction d’un mur haut de 25 mètres au beau milieu de la lande, la destruction du rond-point des chèvres pour permettre le passage de centaines de camions aux abords de l’usine. La gestion catastrophique du chantier du nouvel EPR à Flamanville laisse par ailleurs présager de nouvelles péripéties. Dans la Hague, le nucléaire est déjà là, il a déjà gagné. En s’attachant à défendre ces lieux, ce n’est pas une résistance symbolique qui est engagée mais une lutte à rebours de la fatalité.


Quelques références qui ont inspiré notre écriture :

À la recherche d’un héritage écoféministe français : étude des Mères en colère. Un collectif de femmes du Nord-Cotentin face aux impacts sanitaires de l’industrie nucléaire (1997-2001), Anna Vayness, mémoire du M1 Etudes Environnementales de l’EHESS sous la direction de Sezin Topçu, 2021

Engagements écologistes et féministes « ordinaires » en Bretagne dans les années 1968. Récits de vie de quatorze femmes autour de la lutte antinucléaire de Plogoff (1974-1981), Coline Guerin, mémoire du M2 Sociologie de l’EHESS sous la direction de Geneviève Pruvost, 2019

Fukushima et ses invisibles de Sabu Kosho, Hapax, Yoko Hayasuke, Shiro Yabu, Mari Matsumoto, Motonao Gensai Mori et le collectif éditorial des éditions des mondes à faire

Les Argonautes, Maggie Nelson, Les éditions du Sous-sol, 2018

Pendant que les champs brûlent, Niagara, 1990

https://piscinenucleairestop.fr/