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À propos de Christopher Stone, Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Vers la reconnaissance de droits juridiques aux objets naturels (Le passager clandestin, 2017)

Je propose tout à fait sérieusement que l’on donne des droits juridiques aux forêts, aux océans, aux rivières, et autres objets dits “naturels” de l’environnement – en fait à l’environnement naturel dans son ensemble.

Christopher Stone1

En publiant dès 1972 un article sur l’octroi d’un statut aux communs naturels, notamment aux arbres, Christopher Stone a semé quelques graines vers la naissance du mouvement mondial pour les droits de la nature2. La publication aux éditions Le passager clandestin de son ouvrage de référence internationale Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? (2017), préfacé par la philosophe de l’environnement Catherine Larrère, constitue un apport de taille à la formation de ce mouvement en France.

Dans ce livre, Christopher Stone étudie les possibilités concrètes de l’attribution d’une personnalité juridique à la nature, et ses impacts sur le fonctionnement de la justice aussi bien que sur nos sociétés. Outre son approche juridique très pragmatique, il pose une question aujourd’hui essentielle et structurante : celle de la création d’un nouveau « nous », transcendant les particularismes entre les humains, mais aussi au-delà des humains. Une nouvelle approche qui pourrait permettre, par l’insertion de la nature comme nouvel acteur du jeu politique, démocratique et social, de s’inscrire dans une perspective de paix par la justice sociale et de nouvelles extensions des droits humains.

Une arme juridique autant que philosophique

Christopher Stone aurait pu être aujourd’hui le porte-drapeau du mouvement des droits de la nature et des projets de résistance aux grands projets inutiles qui clame « Nous sommes la nature qui se défend ! ». Car c’est en réaction à un grand projet inutile que le professeur de droit, non encore engagé dans des actions de protection de la nature, a émis une hypothèse qui apparut alors comme révolutionnaire : celle d’octroyer une personnalité juridique aux communs naturels, et de leur permettre de se défendre devant les tribunaux.

En septembre 1970, la Cour d’appel de Californie rejeta le recours du Sierra Club (la plus ancienne association états-unienne de protection de l’environnement) contre le projet de construction d’une station de sports d’hiver devant détériorer la vallée de séquoias Mineral King, au motif de l’absence d’un préjudice personnel pour l’association. C’est en vue de l’examen de l’affaire devant la Cour Suprême des États-Unis que Christopher Stone émet alors l’idée de tenir compte non pas seulement de l’impact de la dégradation de la nature sur les humains – le « préjudice personnel » des individus – mais aussi sur les arbres eux-mêmes. Une idée puissante, et révolutionnaire.

Car si elle s’inscrit dans une interrogation pragmatique – l’octroi d’une personnalité juridique aux séquoias de la vallée aurait-il changé la décision de la Cour d’appel californienne ? – elle émerge dans une période de grandes controverses en matière d’éthique environnementale, encore non résolues.

Ainsi que le rappelle Catherine Larrère dans sa préface, les années 1960 et 1970 sont charnières pour les débats en matière d’éthique environnementale. La proposition de Christopher Stone s’inscrit dans la continuité d’une première controverse, qui opposa à la fin du XIXème siècle le forestier Gifford Pinchot, qui prônait le management des espaces naturels et qui fut à l’origine de la création du US Forest Service en 1898, et l’écrivain naturaliste John Muir, qui défendait la préservation de grands espaces naturels sauvages et qui fut l’inspirateur de la création du Parc national de Yosemite en 1809 (le plus grand parc de séquoias des États-Unis) et le fondateur de l’association Sierra Club, celle qui chercha à préserver la vallée Mineral King, en 1892.

Cette controverse est partiellement reformulée au début des années 1970, opposant cette fois celles et ceux qui considèrent que l’environnement doit être protégé en ce que sa destruction contrevient aux intérêts humains, à celles et ceux qui prônent l’octroi d’une valeur intrinsèque à la nature. En 1962, la publication de l’ouvrage de Rachel Carson, Silent Spring, alimente la première vision, concrétisée au sein de la Déclaration de Stockholm en 1972 qui consacre le droit humain à un environnement sain, ainsi qu’au sein du Rapport Meadows sur les limites à la croissance. D’autres penseurs, notamment Peter Singer, Richard Routley ou Arne Naess en 1973, font quant à eux émerger d’autres approches de la nature, défendant sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire la valeur qu’elle possède en elle-même indépendamment de nos intérêts, à partir des thématiques de la libération animale ou de l’écologie profonde. La proposition de Christopher Stone s’inscrit dans cette seconde dynamique, qui reprend aujourd’hui de la vigueur face à l’incapacité observée de la première à répondre à l’Anthropocène.

En étudiant l’opuscule de Stone on ne peut qu’être frappé par la similarité des enjeux qu’il décrit avec ceux de ce début de XXIème siècle : des zones humides de Notre-Dame-des-Landes aux forêts de Bialowieza et de Hambach ; de l’acidification des océans aux zones côtières en pleine submersion marine… Alors que les alertes sur la destruction de la planète se multiplient, les grands projets destructeurs continuent de proliférer partout dans le monde, les droits humains de reculer, la démocratie d’être abîmée. Nos communs naturels ont besoin d’être protégés face à l’appétit aménageur et extractiviste. Leur permettre de plaider en leur nom et en leur propre intérêt serait-il une solution pragmatique face à notre incapacité à les préserver ?

Pour répondre à cette question théorique, Christopher Stone étudie les trois conditions de l’octroi de la personnalité juridique : premièrement, la nature doit pouvoir ester en justice en son nom propre ; deuxièmement, il doit être possible de considérer les dommages à son encontre ; troisièmement, une réparation doit pouvoir être effectuée à son profit.

Un outil concret pour protéger la nature

La première conclusion est sans appel : il est évidemment possible de mettre en place des mécanismes de représentation de la nature en justice. L’argumentaire de Stone est simple : les modalités de représentation devant la justice de personnes incapables de prendre la parole et se défendre existent déjà : des êtres humains que sont les jeunes enfants ou les personnes sous tutelle, aux personnes morales que sont les entreprises ou les États. Là où il semblait farfelu, notamment dans un système juridique reposant sur l’argumentation, de permettre à des éléments muets de se défendre devant les juges, Christopher Stone répond par la preuve : des personnalités juridiques et des « tutelles » ont déjà été octroyées à des personnes physiques ou morales incapables de se défendre. Il poursuit : l’octroi d’une personnalité juridique à la nature en tant que telle permettrait également d’éviter l’engorgement des tribunaux par des groupes d’humains pouvant plaider l’accaparement ou la protection d’éléments naturels au nom de leurs propres et distincts intérêts.

La seconde question qui se pose alors est de considérer quels sont les dommages créés, et donc qui disposerait de ces droits nouveaux. Ici, Christopher Stone ne fait qu’effleurer une question qui prendra de plus en plus d’importance au fur et à mesure de la dégradation de notre planète. Il apporte toutefois des débuts de réponse : octroyer des droits à la nature peut permettre de tenir compte, dans le calcul des dommages et intérêts à verser, de l’ensemble des coûts imposés à la société par la dégradation de l’environnement, et non seulement des dommages concernant la personne ou le groupe qui aura esté en justice pour la défense de ses propres intérêts. Par ailleurs, de la même manière que des coûts sont apportés à la violation de la vie privée, des droits d’auteurs, ou des brevets – également des fictions juridiques – il est possible d’attribuer des coûts à la dégradation de l’environnement, coûts qui seraient égaux à la réparation-restauration de celui-ci.

De ces deux constats émergent une réponse positive à la troisième et dernière question théorique posée par Stone : si la nature peut ester en justice pour défendre ses propres droits, et s’il est possible d’estimer le coût des dommages qui lui sont apportés, alors il doit être possible de mettre en place des fonds permettant de réparer directement la nature – une prémisse du « préjudice écologique pur », inscrit dans le droit français en 2016.

Enfin, pour clore son raisonnement, Christopher Stone demande : est-ce efficace ? Une question légitime : il était déjà possible en 1972, comme cela l’est encore aujourd’hui, de protéger une rivière d’une pollution aux produits toxiques en dénonçant les impacts de cette pollution sur les droits humains ou en invoquant des préjudices économiques. Pour protéger leur terrain, leur accès à la rivière, leurs propres intérêts… les êtres humains se sont montré.e.s capables de développer des dispositifs légaux inventifs de protection de l’environnement.

L’auteur souligne toutefois que cela ne suffit pas à protéger l’ensemble des écosystèmes. Exemples à l’appui, comme celui de la Lackawanna River, il dénonce la prééminence des intérêts économiques et financiers dans les décisions de justice. La Cour suprême de Pennsylvanie avait en effet refusé de mettre fin aux pollutions charbonnières d’une entreprise considérée comme développant des activités d’un « grand intérêt public ».

Il ajoute que les dispositifs reposant uniquement sur l’humain ne permettent pas de mettre fin aux activités polluantes. D’une part, parce que des pollutions adviennent sans bafouer les intérêts directs des êtres humains : nul ne saisit alors la justice pour protéger la nature. D’autre part, parce que le fait d’empêcher une pollution localement et temporellement située ne suffit pas à protéger la rivière de la source à l’embouchure, du volume d’eau aux espèces végétales, marines et animales qui vivent en son sein. Si l’octroi d’une personnalité juridique à la nature n’est pas toujours indispensable, elle est possible et constitue un véritable outil juridique afin de protéger le vivant.

Ce débat est encore en cours aujourd’hui, opposant le mouvement des droits de la nature à des juristes issus de la philosophie occidentale anthropocentrique (considérant le droit de la nature comme découlant des droits, devoirs et intérêts des humains), ainsi que l’illustre le débat en cours entre, par exemple, les juristes Valérie Cabanes3 et Laurent Neyret4. Mais Christopher Stone le montre déjà : ces différentes approches ne s’opposent pas, elles sont au contraire complémentaires et doivent permettre de faire émerger des sociétés renouvelées, reposant sur l’harmonie avec la nature et entre les êtres humains.

Reconstruire notre monde, refonder notre pacte social

La distinction entre droits de la nature et rationalité occidentale qui a pu valoir dans les années 1970 est en effet aujourd’hui en passe d’être dépassée. Car si les droits de la nature sont advenus progressivement dans des pays et des philosophies consacrant une inter-relation avec le vivant, basée sur des sagesses autochtones ancestrales : inscription des droits de la nature5 dans les Constitutions de l’Équateur en 2008 et du district fédéral de Mexico en 2017, dans une loi fondamentale bolivienne en 2010, dans les législations municipales des villes de Bonito et Paudalho au Brésil ou bientôt de Santa Fé en Argentine… ; des droits sont peu à peu attribués à la nature en plein cœur des démocraties occidentales, comme c’est déjà le cas dans une trentaine de municipalités aux États-Unis et bientôt en France à travers la reconnaissance du « principe unitaire de vie » dans le code de l’environnement en phase d’adoption aux Îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie, ou encore à travers la consécration déjà citée du préjudice écologique dans le code civil français.

À travers le monde, protéger la nature apparaît de plus en plus comme une manière de garantir l’égalité sociale, entre chaque catégorie de population. Les études n’en sont encore qu’à leurs débuts, mais nous savons que les changements climatiques sont dus à l’activité des plus riches, puisque 10% de l’humanité émet 50%  des gaz à effet de serre6, et que cent firmes seulement sont responsables de 71% de ces émissions depuis 1988 7. Nous savons aussi qu’ils pèseront en premier lieu sur les plus vulnérables : la Banque mondiale annonce 100 millions de pauvres en plus d’ici 2030 du fait du changement climatique8 ; de moins en moins de personnes ont accès à l’alimentation ; les plus pauvres sont aussi celles et ceux qui habitent en zone les plus inondables, les plus sujet.te.s aux épidémies, et qui perdront leurs métiers en premier… Le coût pour l’ensemble de la société de la dégradation des communs planétaires, déjà soulevé par Christopher Stone, se révèle et s’impose progressivement à celles et ceux qui souhaitaient contenir la puissance du droit aux impacts localement et personnellement situés.

Un nombre croissant de mouvements sociaux s’emparent de cette idée. De Gabès en Tunisie à Standing Rock aux États-Unis, en passant par la mobilisation des jeunes générations en Suède ou en Australie, la défense des droits des autres (communautés indigènes et peuples autochtones et premiers, générations futures…) devient un outil de protection de la nature, et inversement. Des décisions de justice exemplaires reconnaissent le droit des écosystèmes à exister et à être protégés. En Inde, des droits ont été attribués à plusieurs écosystèmes himalayens dont le Gange et son affluent la Yamuna en Inde9 afin de protéger les communautés riveraines d’une pollution 3000 fois supérieure à celles autorisées par l’Organisation Mondiale de la Santé. En Colombie, les juges de la Cour Suprême ont en même temps consacré une obligation pour l’État d’agir en imposant l’arrêt du déboisement et des émissions de gaz à effet de serre pour garantir les droits des humains actuels et « non encore né.e.s », et l’attribution d’une personnalité juridique et de droits à la forêt amazonienne10 ; affirmant qu’environnement et social sont liés, « jusqu’à ne faire plus qu’un ».

Christopher Stone le souligne : « lorsque l’on octroie des droits à d’autres humains, cela permet également à celles et ceux qui en bénéficient d’accéder à une compréhension plus profonde de leurs possibilités personnelles – à une nouvelle dignité » 11. Stone revient, en introduction à son argumentation, sur le mouvement historique qui a permis d’attribuer des droits à des individus de plus en plus nombreux : d’abord conférés aux hommes blancs et riches, des droits furent ensuite octroyés aux hommes pauvres, aux esclaves, aux noirs, aux juifs, aux femmes, aux enfants, aux indigents, etc. et enfin aux personnes morales, fussent-elles de droit public ou privée.

Christopher Stone se sait précurseur. Il engage donc son propos par ce préalable : « à chaque fois qu’un mouvement social apparaît qui propose de conférer des droits à une nouvelle « entité », nous dit-il, cette proposition est condamnée à passer pour étrange, effrayante ou risible » (p. 49). La question de la représentation de la nature n’échappe pas à cette bataille : ainsi que l’a encore montré l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi initial de sortie des hydrocarbures présenté par Nicolas Hulot au Parlement français12, les droits et libertés économiques occupent encore une place supérieure à l’urgence de la protection environnementale dans nombre de pays, et les États eux-mêmes, pourtant censés garantir l’intérêt général, développent ou soutiennent des projets destructeurs de la nature.

Dans cette décision, le Conseil d’État modifie le projet de loi tel qu’initialement prévu :

« les risques d’atteintes portés par le projet de loi à la garantie des droits des opérateurs et au droit de propriété tiennent, pour l’essentiel, à l’impossibilité pour le titulaire d’une concession en cours d’obtenir sa prolongation. Le Conseil d’État estime que cette difficulté est surmontable en apportant au projet dont il a été saisi un amendement immédiat et des compléments ultérieurs. En conséquence, il introduit directement dans le projet de loi une disposition permettant au titulaire d’une concession en cours de validité d’en obtenir la prolongation. »13.

Face à l’extrême nécessité de mettre fin à l’exploitation des hydrocarbures au plus vite pour préserver climat et planète, le Conseil d’État oppose ainsi les droits et libertés économiques des êtres humains, considérant ces objectifs partiellement contradictoires.

L’octroi de droits à la nature constitue encore et en effet, pour nombre de citoyen.ne.s du monde, un empiétement sur leurs propres droits à la propriété ou à la prospérité. Stone affirme d’ailleurs partager en partie cette opinion : « je préfère l’avouer franchement plutôt que de me lancer dans des simagrées de façade, ce que je propose va effectivement nous « coûter » quelque chose, c’est-à-dire qu’il conduira à réduire notre niveau de vie tel qu’il est mesuré à l’aune de nos valeurs actuelles » (p. 100).

Raison pour laquelle Christopher Stone clôt son ouvrage par une question cruciale : « Serait-ce si difficile ? » (p. 114), sorte de défi aux humains des temps consuméristes et productivistes, d’inventer ce qui sera à n’en guère douter l’enjeu absolu du siècle qui s’est ouvert. Sa proposition est de nature sociétale : « une telle transformation de nos représentations ferait de nous de bien meilleurs humains » (p. 106). Au cours de l’histoire, les fictions juridiques que nous avons créées, le statut de citoyen étant déjà l’une d’entre elles, ont en effet correspondu aux valeurs que nous attribuions aux personnes, aux choses, aux entités. Créer de nouvelles fictions juridiques revient ainsi à élargir le socle des « choses » auxquelles nous attribuons une valeur ; et ainsi, par ricochet et à travers un acte de générosité, d’augmenter encore la valeur de l’humanité.

Pour Stone, cette conquête de droits nouveaux pour la nature s’inscrit dans le cadre d’une extension toujours grandissante de l’amour et de l’harmonie, « le développement de notre capacité à aimer » (p. 108), resituant l’humanité dans un vivant qui nous dépasse. Il défend, ce que nous défendons avec lui, l’idée que les droits de la nature peuvent permettre d’étendre les droits humains, notamment ceux des plus vulnérables, et le développement d’une « conscience planétaire » (p. 113). La proposition juridique de Stone relève ainsi des prémices d’une véritable révolution, au sens le plus traditionnel du terme : nourrie par des révoltes (petites, mais multiples) d’une nature qui se défend face à celles et ceux qui veulent lui nuire ; par des débats philosophiques, politiques et sociaux qui semblent s’opposer mais nourrissent une même aspiration à la transformation profonde de nos sociétés.

Le chaos, ou le renouvellement par un contrat naturel

L’humanité est aujourd’hui face à la croisée des chemins : l’écart s’accroît entre des rapports scientifiques de plus en plus alarmants, les engagements de la communauté internationale, et les actes ; des carbo-fascistes arrivent au pouvoir dans un nombre croissant d’États ; les plus riches se construisent des havres de paix bien réels (notamment les îles flottantes d’Eko Atlantic City, au large de Lagos au Nigeria14 ou les projets en cours en mer du Nord) ou imaginaires (les multi-milliardaires Jeff Bezos et Elon Musk qui souhaitent vivre en dehors de l’atmosphère) ; un nombre croissant de populations s’enferment dans des dynamiques identitaires et exclusives, de l’Inde de Modi aux États-Unis de Trump en passant par la Hongrie de Orban… Les mouvements sociaux et environnementalistes, les philosophes anthropocentré.e.s comme les défenseur.se.s d’une valeur intrinsèque des écosystèmes naturels, n’ont désormais d’autres choix que s’allier afin de protéger l’humanité du plus grand péril qu’elle ait eu à affronter.

Pour nous, membres et allié.e.s des mouvements pour la justice climatique15 et pour les droits de la nature 16, il est essentiel de voir dans l’article de Stone et la très grande actualité de sa traduction en français une double-invitation : d’une part, celle d’étendre à nouveau la protection de l’environnement à travers une prise en compte de la nature reposant à la fois sur l’attribution de droits, de la capacité à ester en justice en son propre nom, et, en allant plus loin que la proposition de Stone, son insertion dans les dispositifs de prise de décision 17 ; d’autre part, celle d’étendre à nouveau les droits de chacun.e, en réinventant un nouveau « nous incluant l’environnement » (p. 98), qui, en ne dissociant plus l’humain de la nature permettrait de protéger le vivant, condition incontournable pour garantir les droits fondamentaux de l’humanité présente et à venir.

Face à la déperdition du monde, la pensée de Christopher Stone doit s’imposer à nous. Elle fait écho à la créolisation telle que conçue par Edouard Glissant, celle de « la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre »18. Elle permet d’imaginer un monde nouveau, un monde de l’égalité réelle dans la relation aux ressources qui nous sont communes, un monde de la solidarité avec les plus faibles ; en bref, un nouveau « nous ».

  1. Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?, Le passager clandestin, 2017.[]
  2. Voir https://therightsofnature.org/[]
  3. https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/03/30/reconnaissons-la-nature-comme-sujet-de-droit_5102997_3232.html[]
  4. https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/03/30/laurent-neyret-accorder-des-droits-a-la-nature-est-illusoire_5103191_3232.html[]
  5. http://www.harmonywithnatureun.org/rightsOfNature/[]
  6. https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/582545/mb-extreme-carbon-inequality-021215-fr.pdf;jsessionid=CA8CD41391EFE6C1DE3CA08555686276?sequence=13[]
  7. http://climateaccountability.org/pdf/CarbonMajorsRpt2017%20Jul17.pdf[]
  8. http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2015/11/08/immediate-push-on-climate-smart-development-can-keep-more-than-100-million-people-out-of-poverty?cid=EXT_Twitterbanquemondiale_P_EXT[]
  9. http://www.indiancourts.nic.in/ddir/uhc/RS/judgement/31-03-2017/RS30032017WPPIL1402015.pdf[]
  10. http://www.cortesuprema.gov.co/corte/wp-content/uploads/2018/04/STC4360-2018-2018-00319-011.pdf[]
  11. Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?, p. 150, note 132.[]
  12. http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl0155-ace.pdf[]
  13. voir p. 5, point 16 de http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl0155-ace.pdf[]
  14. Voir Le changement climatique, menace pour la démocratie ? de Valéry Laramée de Tannenberg, Buchet/Chastel, 2017.[]
  15. https://notreaffaireatous.org/category/un-mouvement-mondial/[]
  16. https://therightsofnature.org[]
  17. Voir notamment “Esquisse d’un Parlement des choses”, Bruno Latour, revue Ecologie & Politique, n°56, 1994.[]
  18. Traité du Tout monde, Poétique IV, Gallimard, 1997, p. 194.[]