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A propos de Stéphane François, Les verts-bruns. L’écologie de l’extrême-droite française, Lormont, Le bord de l’eau, 2022.

Dans cet ouvrage, Stéphane François entend montrer qu’à côté de l’écologie politique de « filiation progressiste », bien connue, existe une autre écologie, « tout aussi ancienne, ouvertement réactionnaire et/ou antimoderne, née de l’héritage du romantisme », dont l’étude aurait été négligée (p. 9). L’auteur ambitionne « d’en brosser le panorama complet », sous un angle descriptif voire ethnologique (p. 10). De là, il soutient qu’il est « absurde » de soutenir que l’écologie est forcément de gauche, comme nous l’avons nous-même soutenu, ou plus précisément une écologie de gauche et du centre1. Au contraire, il existerait une ambigüité doctrinale fondamentale dans l’écologie, qui justifierait qu’on rapproche cette dernière de la pensée conservatrice. Partant de là, S. François croit identifier des porosités entre les différentes familles idéologiques de l’écologie politique. La démonstration n’est guère convaincante : la thèse d’une « écologie d’extrême-droite » est inconsistante. Tout au plus existe-t-il des points de ressemblance superficielle entre l’écologie politique et des groupuscules aux soubassements idéologiques très différents.

L’ouvrage est organisé en 8 chapitres. Le premier est constitué d’une généalogie de la supposée écologie « d’extrême-droite », où l’on retrouve toujours les mêmes personnages, pour qui suit la question depuis quelque temps : Alain de Benoist, le fondateur de la « Nouvelle Droite » dans les années 1970, qui n’avait rien d’écologiste, mais changea apparemment de cap tardivement comme en témoigne son livre sur la décroissance publié en 2007 ; le GRECE, centre qu’il a fondé, qui paraît s’intéresser à l’écologie ; les aventures de divers individus aux trajectoires spécifiques tels que Laurent Ozon passé des Verts au Front National, avant de disparaître de la scène publique ; ou encore diverses personnalités issues du nazisme qui semblent ou ont semblé déclarer un intérêt pour l’écologie. Le second chapitre cherche à montrer comment des mouvements contemporains articulent « écologie » et « identité », au travers par exemple de la lecture de magazines tels que Terre et peuple. De Benoist est de nouveau omniprésent, alors qu’il n’a pas de mouvement derrière lui.

Le troisième chapitre prétend que « le néopaganisme est devenu l’une des spiritualités importantes de l’extrême-droite à partir de la seconde moitié des années 1980 » (p. 59), cherchant à refermer une « parenthèse chrétienne » jugée avoir été importée dans les cultures européennes, conduisant à les dénaturer. La Nouvelle droite est de nouveau très présente. Un quatrième chapitre nous emmène du côté des survivalistes et nous retrouvons des figures bien connues des spécialistes, telles que Piero San Giorgio, auteur de plusieurs livres et dispensant des formations pour « survivre à l’effondrement économique » qu’il considère comme imminent, ou Alain Soral, qui « théorise » parfois les implications concrètes d’un effondrement écologique. Le cinquième chapitre s’intéresse aux dimensions antimodernes de la droite extrême.

Le sixième chapitre tente de regrouper de manière synthétique les questionnements de l’auteur quant aux « convergences » entre « écologie politique » (p. 6) et extrême-droite, qui sont déjà indiquées dans les têtes de chapitre précédents : identité, néopaganisme, survivalisme et critique de la modernité. Le dernier chapitre cherche quant à lui à montrer que les luttes anticoloniales qui habitent en effet l’écologisme depuis ses origines, à l’exemple de Robert Jaulin, participeraient d’un même relativisme culturel que celui de l’extrême-droite.

Des accusations de longue date contre l’écologisme

Le problème principal qui ressort de la lecture de cet ouvrage est son air de déjà vu, qui signale à quel point est ancienne et persistante cette volonté de discréditer l’écologie en la rattachant à des origines historiques réactionnaires. Luc Ferry, dans Le nouvel ordre écologique publié en 19922 à l’occasion du Sommet de Rio sur l’Environnement et le Développement3, en même temps que l’Appel de Heidelberg, s’inquiétait déjà de la montée d’une idéologie irrationnelle et anti-progrès, antimoderne, localiste, « survivaliste », bref conservatrice4. Le philosophe, défenseur d’un libéralisme de type républicain5, européen, extrêmement confiant dans les ressources de la science et de la technique face aux enjeux écologiques qui lui paraissent tout à fait surmontables par cette maitrise moderne de la nature, cherchait alors à montrer que l’écologisme ne faisait que se réapproprier la notion « d’ordre naturel » défendue par Louis de Bonald6 ou par le nazisme.

Pourtant, ce que les écologistes entendent par « ordre nature » a un tout autre sens. Le concept de nature renvoie à la biosphère, saisie par la science nommée « écologie » au sens large (y compris l’ingénierie et la science des matériaux par exemple). L’enjeu est d’équilibrer le métabolisme que chaque société entretient avec le milieu. Du côté conservateur, le concept de nature renvoie à un autre horizon : une essence de l’ordre social, dont l’équilibre avec la nature (au sens de la science écologique) est au mieux une composante, sans même que cette composante soit indispensable7.

Ainsi, pour Bonald, l’ordre politique repose-t-il sur la royauté et le patriarcat. Il n’y a pas à en discuter, puisqu’il est « naturel », au sens de conforme à l’essence humaine. Du côté du nazisme, on trouve un discours sur la hiérarchie des races et leur espace vital. Les points de convergence sont anecdotiques. Qu’Hitler ait été végétarien ne l’a pas empêché de dévaster les écosystèmes, tant par la guerre que par l’industrialisation rapide, dont les autoroutes sont l’un des symboles les plus voyants.

Autoroute allemande 1936-1939

Dans un travail approfondi de confrontation entre les thèses réellement défendues par l’écologie politique et les affirmations de ses opposants, j’ai moi-même essayé de montrer en quoi le propos de Ferry relève de la confusion, pas toujours de bonne foi8. Ultérieurement je me suis intéressé au cas du conservatisme9. Les spécialistes de l’écologie politique ont également noté combien ce mouvement se distingue en général par un souci assez fort de se différencier de l’extrême-droite10, précisément parce qu’il est fréquemment confronté à des accusations de cet ordre, qui cherchent à rapprocher ce qui ne peut pas l’être, mais font partiellement mouche sur le plan rhétorique, dans l’espace public et même parfois académique. D’autres chercheurs ont confirmé par d’autres moyens combien l’extrême-droite est éloignée des thèses écologistes, et ceci pour une raison bien simple : ce mouvement se situe principalement à gauche et au centre, comme peuvent l’illustrer de nos jours respectivement Sandrine Rousseau et Corinne Lepage.

Mais de tous ces débats, qui existent de longue date, S. François ne dit rien. Il s’en tient à une bibliographie très limitée, dont il admet qu’elle est focalisée sur ses propres travaux et les thèses d’Alain de Benoist et du GRECE. Pour ceux qui suivent ces débats, l’apport est donc très restreint et les conclusions très discutables.

Une série d’amalgames

Reprenons alors la démonstration, une nouvelle fois. La confusion intervient de deux manières.

La première est de procéder par l’amalgame. Celui-ci consiste à ne retenir de deux idées distinctes que ce qui les rassemble, et à conclure qu’elles sont similaires voire identiques, ou en tout cas que des « porosités » (p. 12) existeraient, voire des « convergences ». Par exemple : l’écologie politique évoque parfois la nature-mère, ce qui serait une tendance néopaganiste. Sauf que le néopaganisme d’extrême-droite s’intéresse peu à la nature ou à l’écologie : c’est des racines européennes pré-chrétiennes dont il se soucie.

Alors certes les Gaulois étaient peut-être « écolo » à leur manière, au sens où ils ne vivaient pas dans une société industrialisée. Mais une lecture même rapide de magazines comme Terre & Peuple montre que cet aspect demeure très secondaire derrière l’antiaméricanisme et la peur du « grand remplacement ». Le GIEC est dénoncé comme une imposture aussi bien que les éoliennes. La référence au paganisme fonctionne avant tout comme la réaffirmation d’une essence française débarrassée des religions nord-africaines, dont le christianisme et le judaïsme sont l’une des branches. Enfin, rien ne démontre que les modes de vie pré-industriels évoqués sont forcément « écologiques ».

Le néolithique a vu disparaître la mégafaune et les incendies causés par l’humanité se voient dans les couches géologiques, à tel point qu’un débat existe pour savoir quand faire commencer l’Anthropocène11. L’Europe pré-industrielle a rasé ses forêts, ce qui l’a poussé à s’intéresser au charbon de terre12. On pourrait multiplier les exemples13. De toute manière, ce n’est pas cet aspect qui intéresse l’extrême-droite.

Passer sous silence les différences qui animent ces visions, ce n’est pas constater de manière objective l’existence de porosités (puisque S. François insiste sur la neutralité axiologique de sa démarche) : c’est les construire, c’est les apporter et les fabriquer là où elles n’existent pas. Un travail un peu solide sur le plan de l’étude des idéologies décompte aussi bien les divergences que les points d’accord ; ceci, en tenant compte du fait que les concepts politiques sont « essentiellement contestés », à savoir que les mêmes mots ont un sens divergent suivant le parti considéré, et cela, en fonction de l’effet que chacun des acteurs veut produire sur le contexte partagé d’action14.

Sans cela, l’analyse est faussée et ce qui est de gauche est confondu avec ce qui est de droite. En réalité le paganisme d’extrême-droite renvoie à une nature mythologique ancrée dans un passé nostalgique, et l’on ne trouve rien de tel chez les écologistes qui usent certes de la métaphore de la nature-mère, mais en s’appuyant sur une critique scientifiquement argumentée (par l’écologie, entre autres), débouchant sur l’objectif d’un métabolisme équilibré, à l’échelle globale, avec la biosphère. A la base de l’écologisme, il y a un cosmopolitisme séculier, et non un réenracinement fantasmatique.

La démonstration pourrait être faite de la même manière pour toutes les « porosités » alléguées par S. François : le « localisme », le « survivalisme », le « respect de la terre », l’enjeu de la « paysannerie », la terre comme « espace culturel », la critique du christianisme, « l’organicisme », « le végétarisme », « les médecines douces », etc. On comprend qu’il serait très fastidieux de reprendre chacune de ces confusions, qu’il faudrait resituer dans son contexte, etc. L’amalgame fonctionne d’autant mieux que le nombre élevé de rapprochements opérés par l’auteur est mis en scène comme une accumulation de preuves apparentes d’une « convergence »… alors qu’il s’agit de la répétition de la même erreur méthodologique. Il n’y a pas de nombreuses convergences entre l’écologie politique et l’extrême-droite, mais de nombreuses confusions dans le livre de S. François.

Si ces confusions sont possibles, c’est aussi parce que « l’écologie politique » n’est pas définie dans l’ouvrage. S. François s’y réfère fréquemment mais il n’en fournit aucune définition conceptuelle. Faute de définition précise, le lecteur n’a plus à sa disposition, pour chaque mot discuté (« localisme » etc.), qu’un sens commun vague, nourri des confusions véhiculées par les médias. Le « localisme » de l’extrême-droite semble en effet à première vue converger avec le « consommer local » des écologistes. Mais c’est une erreur : les deux poursuivent des objectifs très différents, sur la base de justifications qui sont aux antipodes l’une de l’autre. Le lecteur ne peut pas le savoir, puisque le sens précis et spécifique que l’écologie politique donne à ce concept est absent du livre. La démonstration tourne en vase clos.

Si ces confusions sont possibles, c’est enfin parce que les rapprochements opérés ne sont pas replacés dans le contexte plus large des idées dominantes de l’extrême-droite, qui vont souvent à l’encontre de celles de l’écologie politique et réduisent alors quasiment à néant la thèse de « porosités » ou de « convergences ». Quand S. François rappelle les thèmes principaux de l’extrême-droite, il donne un résumé emprunté à la synthèse de l’historien Michel Winock (p. 14) mais qui est en réalité trop vague pour le sujet traité, et largement rabattu sur les seules thèses du GRECE : haine du présent, nostalgie d’un âge d’or, peur de la dégradation génétique et de l’effondrement démographique, anti-individualisme etc. Michel Winock lui-même ne voit que deux droites, libérale et nationale-populiste15. Or le GRECE appartient à cette droite que Jean-Philippe Vincent qualifie d’ « illibérale »16. Elle mise sur la hiérarchie, l’ordre, la puissance ou encore la famille hétérosexuelle.

Une telle conception ne converge pas vers des politiques écologistes, en aucun sens du terme. Sous des mots identiques, et quelques ressemblances superficielles, des idées fortement distinctes, et avec des implications très différentes sur l’ordre social. D’un côté le localisme du repli mythologique sur soi, de l’autre une relocalisation à fondement cosmopolitique, ancré dans un souci de justice planétaire, ce qui n’a rien à voir et représente même tout ce que l’extrême-droite déteste… Que resterait-il de commun, finalement ? Une critique commune de la dépendance à l’automobile ? Il s’agirait alors d’une convergence objective, ponctuelle, et non d’une « porosité ». Maurras, quand il défend la CGT17, ne devient pas socialiste pour autant.

Manque de contextualisation

La seconde manière d’entretenir la confusion consiste à annoncer que l’on va s’en tenir à une analyse d’auteurs et d’idées (p. 12), en renonçant donc à peser leur poids politique et leur influence, tout en se permettant de faire des annonces ou mises en garde ici et là à ce sujet. Ainsi, à partir de quelques déclarations isolées, issues de personnalités atypiques qui n’ont nullement été entendues dans les partis d’extrême-droite où elles ont tenté de s’enraciner (Laurent Ozon, Hervé Juvin…), S. François soutient que « l’écologie » serait devenue un « enjeu majeur » de l’extrême-droite au cours des années 2000 ; et que la nouvelle Droite aurait été « le levier d’influence intellectuelle le plus important de la droite radicale française » (p. 16).

« Enjeu majeur », influence « importante » sur (toute) la droite radicale, donc. Manière, en effet, de faire comprendre qu’il ne faut pas « minimiser », comme il le reproche à mes travaux. Mais lorsqu’il est contraint de préciser sur quelles bases il peut affirmer cela, S. François laisse transparaître un manque de précision confondant. Ainsi déclare-t-il méthodologiquement s’intéresser à des « groupuscules » qui vont du GRECE au… Rassemblement National (p. 23). Le fait de mettre ces formations sur un pied d’égalité donne une importance démesurée au GRECE. S. François produit donc encore une fois ce qu’il voudrait ne faire que « constater », même s’il a parfois de bons réflexes, comme de ne pas faire de C. Lévi-Strauss un auteur d’extrême-droite, simplement parce que certains aspects de ses idées sont repris par ces courants (notamment via Race et histoire).

Un résultat qui obscurcit le débat, plus qu’il ne l’éclaire

Le fait de ne pas mesurer le poids politique réel de ces idées et de ne pas les replacer dans leur contexte idéologique augmente artificiellement leur poids, de manière considérable. Au point que l’auteur lui-même se met en difficulté, pris au piège de ses analyses. Ainsi S. François trouve-t-il « paradoxal » que le FN ait défendu « l’écologie » des bonnets rouges, puisque ceux-ci étaient opposés à l’écotaxe et qu’ils défendaient l’agriculture productiviste (p. 42). Constatant que le RN soutient le nucléaire – symbole quasi phallique de puissance, tant par la quantité d’énergie au centimètre-cube que l’organisation militaire qu’il implique dans sa gestion du risque (tout le contraire des « énergies douces », en somme) -, S. François s’étonne pourtant de ce qui lui semble être un point de résistance singulier d’un FN (p. 41) tenu pour être sous l’influence du GRECE.

L’auteur semble surpris de voir cette « écologie » d’extrême-droite critiquer l’écologie de gauche avec laquelle elle serait censée converger, d’après lui. Quand le monde a été mis à l’envers, méthodologiquement, alors oui, tout devient « paradoxal ». En réalité il n’y a rien de « paradoxal » dans le positionnement du RN dès lors que l’on rend compte des concepts et des idéologies politiques dans toutes leurs dimensions et que l’on voit alors en toute clarté que le RN a beaucoup plus de raisons de ne pas être écologiste que de l’être. Ce qui est « paradoxal », en réalité, c’est de conclure à l’existence d’une « écologie de l’extrême-droite », alors qu’il n’y en a (quasiment) pas… « L’écologie » de l’extrême-droite n’a donc pas de consistance idéologique, même dans le cas de groupuscules exotiques tels que le GRECE dont les thèses occupent 90 % de l’ouvrage. Un traitement plus équilibré du sujet aurait exigé de consacrer au moins autant d’espace au RN et consorts, ce qui aurait relativisé le poids du GRECE, et montré combien l’extrême-droite prise dans son ensemble a peu en commun avec « l’écologie ».

Cette omniprésence du GRECE nous apprend au moins quelque chose sur ce groupement, à défaut de nous instruire de « l’écologie de l’extrême-droite française » (titre de l’ouvrage), dont l’existence significative n’est donc toujours pas démontrée. Le GRECE, groupuscule dont l’intellectuel organique est principalement Alain de Benoist, défend une drôle d’écologie. Il critique le christianisme pour avoir perverti la nature profonde de nos ancêtres « européens ». Il défend un ethnodifférentialisme prônant la séparation culturelle et territoriale des populations. De là il n’a aucun mal à glisser quelques différences biologiques (couleur de peau, etc.) qui restent toutefois secondaires par rapport à la différence de culture. Le GRECE défend un « ordre naturel » et condamne la théorie du genre. Bref, rien de neuf sous le soleil.

Des confusions qui profitent au RN

Notre lecture paraîtra bien sévère. Pourtant la conjoncture l’exige. Le Rassemblement National compte désormais 89 députés au Parlement. Chercheurs et médias s’accordent pour souligner l’importance du virage « social » du parti dans ce succès18 : retraites, hausse du minimum vieillesse, etc. Il y aurait une grande différence entre Marine Le Pen et son père, admirateur de Ronald Reagan et partisan du marché19.

Le problème est que cette lecture de l’évolution du parti est superficielle et repose sur des confusions, à nouveau, tant du côté de certains politologues que des médias. En effet, quand on examine le programme de manière structurée (analyse de la logique « systémique » sous-jacente) et non de manière statistique comme le fait par exemple Gilles Ivaldi, on s’aperçoit que le financement de ce qui est présenté comme du social ne repose en rien sur la redistribution des richesses. Les mesures sont conditionnées en large part à un retour de la croissance, laquelle est obtenue par des mesures « d’assainissement » du budget de l’État (telle que supprimer la redevance TV) et de réduction des « charges »20.

Cette position est clairement « libérale » du point de vue économique. Ajoutons à cela que l’autre source de financement est la baisse des coûts liés aux frais supposément occasionnés par les étrangers, en particulier en matière de santé… Le RN est donc en réalité autant à droite qu’avant, comme le notent à juste titre les politologues Emmanuel Négrier et Julien Audemard21. La différence avec Jean-Marie Le Pen est donc bien moins importante que ne le prétendent les commentateurs évoqués, qu’ils soient politologues ou œuvrant dans le monde des médias.

En conclusion l’ouvrage ne démontre pas qu’il s’agit d’une « filiation » de « l’écologie politique », dont l’étude aurait été négligée. Il aurait mieux valu parler d’un courant groupusculaire entretenant des proximités apparentes débouchant parfois sur des situations de convergence objective mais hasardeuse et plus apparente que réelle, le tout noyé dans une extrême-droite s’appropriant à sa manière, spécifique, certains enjeux écologiques qui deviennent de moins en moins contournables, que ce soit sur le plan de la sécurité ou celui de la victoire aux élections.

On lira à ce sujet l’article de Pierre Madelin, beaucoup plus solide. S. François ne fournit pas non plus de « panorama complet » de l’écologie de l’extrême-droite, puisqu’il néglige la plus grande partie des idées étudiées. Il s’ensuit que ces « porosités » et « convergences » tant alléguées avec « l’écologie politique » (de gauche) sont alléguées plutôt que démontrées. L’ensemble reste anecdotique, au regard des divergences. Enfin, le concept « d’écologie politique » nécessiterait d’être mieux défini et circonscrit, dans l’expression « écologie de l’extrême-droite ».



Notes

  1. Fabrice Flipo, Nature et politique – anthropologie de la globalisation et de la modernité (Paris: Amsterdam, 2014); Fabrice Flipo, L’écologie autoritaire (London: ISTE, 2018).[]
  2. Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris: Gallimard, 1992.[]
  3. où fut signée la Convention Climat, encore en vigueur[]
  4. Global Chance, « Appel de Heidelberg », Cahiers de Global Chance, n°1; 1992. ; « The Heidelberg Appeal », Truth Tobacco Industry Documents, sur industrydocuments.ucsf.edu, Université de Californie à San Francisco. Stéphane Foucart, « L’appel de Heidelberg, une initiative fumeuse », Le Monde, 16 juin 2012. []
  5. Luc Ferry et Alain Renaut, Philosophie politique, Paris: PUF, 2007.[]
  6. Louis Bonald De, Théorie du pouvoir politique et religieux, Ed. Orig. 1800 (Paris: UGE, 1965).[]
  7. Clarisse Berthezène et Jean-Christian Vinel, Conservatismes en mouvement (Paris: EHESS, 2016); Philippe Labrecque, Comprendre le conservatisme (Montréal: Liber, 2016); Karl Mannheim, La pensée conservatrice (Editions de la revue Conférence, 2009); Laetitia Strauch-Bonart, Vous avez dit conservateur?, Editions du Cerf (Paris, 2016); Yann Raison du Cleuziou, « Un renversement de l’horizon du politique. Le renouveau conservateur en France. », Esprit, no 10 (2017): p. 130‑42.[]
  8. F. Flipo, Nature et politique. Contribution à une anthropologie de la modernité et de la globalisation, Paris, Amsterdam éditions, 2014.[]
  9. F. Flipo, L’écologie autoritaire, ISTE/Wiley, 2018[]
  10. Simon Persico, “Déclarer qu’on va protéger la planète, ça ne coûte rien”. Les droites françaises et l’écologie (1971-2015) », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques 44, no 2 (2016), p. 157‑86, https://doi.org/10.3917/rfhip1.044.0157.[]
  11. http://quaternary.stratigraphy.org/working-groups/anthropocene/[]
  12. John McNeill, Something new under the sun. An environmental history of the Twentieth Century world (New York: Norton, 2000); Vaclav Smil, The Earth’s biosphere. Evolution, dynamics and change (Cambridge, Mass: MIT Press, 2002).[]
  13. Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés (Paris: Gallimard, 2000); Diamond, Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Paris: Le Grand Livre du Mois, 2006).[]
  14. W. B. Gallie, « Essentially Contested Concepts », Proceedings of the Aristotelian Society 56 (1955), p. 167‑98.[]
  15. M. Winock (dir.), Histoire de l’extrême-droite en France, Paris, Le Seuil, 2015 [nlle ed.][]
  16. Jean-Philippe Vincent, Qu’est-ce que le conservatisme ? Paris, Les Belles Lettres, 2016.[]
  17. Charles Maurras, La république et la question sociale, 1908.[]
  18. Collectif Focale, Votes populaires ! Les bases sociales de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2022.[]
  19. Gilles Ivaldi, « Marine Le Pen, Eric Zemmour : social-populisme contre capitalisme populaire », Note de recherche, Baromètre de la confiance politique, mars 2022, ; Adrien Sénécat, « Du FN de 2007 au RN de 2022, ce qui perdure et ce qui a changé dans le programme de l’extrême droite », Le Monde, 3 juin 2021, sect. Les Décodeurs[]
  20. https://theconversation.com/le-programme-social-de-marine-le-pen-decrypter-le-vrai-du-faux-181307[]
  21. Emmanuel Négrier et Julien Audemard, « Marine Le Pen : la campagne de tous les paradoxes », The Conversation, 22 avril 2022.[]