Malgré le début des travaux et une répression féroce, dénoncée par le rapporteur spécial de l’ONU, la mobilisation contre l’autoroute A69 ne s’est pas essoufflée. Au contraire, elle s’est amplifiée, approfondie et diversifiée. La stratégie du fait accompli, du passage en force, au lieu de susciter la résignation des opposants a redoublé leur résistance. Le scandale que constitue ce projet inutile, injuste et destructeur est toujours plus évident pour les habitant.es de ce territoire, et d’autant plus à l’heure où tous les indicateurs montrent qu’il faut changer de voie. L’A69 est typiquement un projet zombi : un vieux projet en sursis, mainte fois enterré, un équipement voué à disparaître à l’heure des crises sociales et écologiques, et qui ressort pourtant, en accélérant encore la course aux infrastructures meurtrières qui détruisent les vivants.
Depuis des mois est annoncé « l’Acte trois » de la lutte, intitulé « Roue libre »: les 7, 8 et 9 juin, trois jours de mobilisations, tables-rondes, échanges, avec, au beau milieu, une grande manif’action sur le trajet de la future autoroute. Une affluence record est attendue, car les enjeux vont désormais bien au-delà du Tarn, des 400 ha de terres agricoles bétonnées, de la santé des personnes impactées par les usines à bitumes et les nuisances autoroutières, des arrangements mafieux d’« élites » locales et du gaspillage d’argent public face à une facture qui s’alourdit. L’A69 est devenue un symbole de l’artificialisation des terres et du saccage des milieux de vie. Reprendre ces terres, ici et ailleurs, est vital, comme l’exprime cette mobilisation à dimension nationale et même internationale.
Lire sur Terrestres, Geneviève Azam, Du remembrement au désenclavement : aux racines de l’autoroute A69, mai 2024.
Voilà ce qui explique la fébrilité des pouvoirs publics, à court d’arguments autres que la force, la violence et la répression. Mardi 4 juin, le ministre G. Darmanin a sorti son artillerie. Il a demandé l’interdiction de la manifestation en agitant une fois encore l’épouvantail de quelques centaines de « black blocs », armés de haches et de marteaux pour en découdre avec les forces de l’ordre. L’objectif de déclarations aussi grotesques est évident. D’abord dissuader de venir manifester. Ensuite, diviser le mouvement en « bons citoyens » inoffensifs et « voyous » dangereux, quand bien même tout le monde sait désormais qu’une lutte ne peut se passer d’un rapport de force sur le terrain. Darmanin justifie par avance sa stratégie du chaos pour tenter de venir à bout de cette résistance opiniâtre et solidement ancrée dans le territoire.
Rappelons-nous de Sainte-Soline, il y a un peu plus d’un an. Là aussi, la manifestation avait été interdite quelques jours auparavant. Et là aussi, le gouvernement avait agité l’épouvantail de la violence des black blocs. Mais rétrospectivement, on peut se dire que son but était aussi de légitimer par avance la violence des forces de l’ordre, qui ont déversé sur les manifestants un véritable déluge de feu.
Lire sur Terrestres, Virginie Despentes, Se soulever pour trouver l’air, juin 2023.
Rappelons-nous aussi de Sivens, il y a presque dix ans. Comme pour l’A69, le scandale des travaux du barrage avait éclaté au grand jour : diverses enquêtes journalistiques ainsi qu’une commission d’experts nommés par les pouvoirs publics donnaient raison aux opposant.e.s. A défaut d’avoir des arguments pour justifier publiquement ce projet zombi, et pour tenter de dissimuler la manière scandaleuse dont le barrage avait été déterré et imposé contre l’avis de toutes les commissions sollicitées, les autorités locales et nationales ont joué la seule carte qui leur restait: réprimer physiquement les opposant-e-s au risque de commettre l’irréparable. C’est ce qui est arrivé avec la mort de Rémi Fraisse le 26 octobre 2014. Tout ça pour défendre un chantier, un trou grillagé érigé en symbole de l’autoritarisme d’un Etat désireux de passer en force quoi qu’il en coute.
Vu le cynisme du monde du béton et du goudron et de ses alliés politiques, c’est à nous de déjouer le plan de Darmanin. Par notre nombre, notre intelligence collective et notre inventivité. Face à la violence structurelle d’un système qui saccage les conditions de vie sur terre et à la répression brutale des pouvoirs publics qui le protègent, restons soudé.es, déterminé.es, créatif.ves. Faisons de Roue libre ce qu’elle veut être : une manif’action massive, familiale, festive et déterminée à stopper le chantier de l’A69.
A écouter : l’enquête fouillée de la cellule investigation de Radio France sur l’origine, les arrangements politiques et les conflits d’intérêts, A69 : l’ombre de Pierre Fabre derrière l’autoroute, avril 2024.
Signataires :
Geneviève Azam
Jérôme Baschet
Aurélien Berlan
Jean-Claude Balbot
Christophe Bonneuil
Isabelle Cambourakis
Philippe Descola
Sophie Gosselin
François Jarrige
Maxime Laisney
Virginie Maris
Baptiste Morizot
Alessandro Pignocchi
Corine Morel Darleux
Isabelle Stengers
Audrey Vernon
SOUTENIR TERRESTRES
Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.
Soutenez Terrestres pour :
- assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
- contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
- permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
- pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant
Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..
Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.
Merci pour votre soutien !