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Ces dernières années, en sciences humaines, la scène des pensées environnementales est occupée par une controverse.

D’un côté, les « nouveaux matérialismes » qui, depuis le début des années 2000, proposent d’élaborer des représentations générales du monde, non-dualistes et relationnelles, fondées sur l’idée d’une agentivité de la matière. Les auteur·ices majeur·es de ce courant, issu·es pour la plupart des universités anglo-saxonnes, sont Jane Bennett, Karen Barad, Rosi Braidotti, Manuel de Landa ou Elisabeth Grosz. Ces auteur·ices proposent tous·tes de rompre avec des représentations considérées comme constitutives de la modernité : l’idée d’une séparation stricte entre la nature et la culture, entre l’humanité et la non-humanité, et celle selon laquelle l’être humain serait le seul acteur de son histoire. Les virus, par exemple – c’est aujourd’hui de notoriété publique – ne sont pas moins des agents susceptibles de modifier considérablement le cours des affaires humaines. En construisant des ontologies désanthropocentrées, c’est-à-dire des discours sur les structures profondes du réel dans lesquelles l’être humain n’est ni le seul agent de la nature, ni une entité autonome, mais plutôt l’une des intersections d’une hybridation universelle où s’entremêlent le social, le naturel, le technique, l’humain et le non-humain, le vivant et le non-vivant, les « nouveaux matérialismes » proposent de prendre en considération les manières d’agir non-humaines. Ils envisagent les questions écologiques à un niveau général et abstrait, métaphysique : il s’agit de repenser notre rapport aux autres êtres à partir de l’idée d’une matière active, capable de produire d’elle-même tous les phénomènes du monde1.           

De l’autre côté, des auteurs dits « éco-marxistes », comme Andreas Malm, John Bellamy Foster ou Jason W. Moore, mettent au centre de la discussion l’étude critique du mode de production capitaliste, dont le fonctionnement et l’histoire impliquent la destruction des écosystèmes autant que l’exploitation de la plus grande partie de l’humanité. Il s’agit ici plutôt de s’intéresser aux contextes sociaux qui déterminent un certain usage des non-humains (et des humains), ainsi que l’exploitation et la destruction des ressources naturelles. Dans ce contexte, les causes sociales impliquent certes des relations complexes d’interdépendance avec la nature, mais l’agent ultime de la transformation demeure une (petite) partie de l’humanité.

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Si les nouveaux matérialismes se proposent de réorienter notre attention et de construire des ontologies alternatives aux représentations du monde qui auraient accompagné le développement de la modernité écocidaire, les éco-marxismes se concentrent plutôt sur l’assignation des causes sociales de la catastrophe.

Or, les deux courants ont en commun de revendiquer une filiation avec le matérialisme philosophique, soit en se présentant comme « nouveaux matérialismes », soit en renouvelant le matérialisme historique à l’aune des crises écologiques. Il peut ainsi être utile de mieux définir ce qu’est le matérialisme. Le matérialisme philosophique est une pensée de l’immanence qui affirme, selon la formule laconique de Diderot, qu’« il n’y a que de la matière, et [qu’]elle suffit pour tout expliquer2. » Une telle déclaration peut à bon droit être qualifiée d’ontologique : elle se prononce sur la structure fondamentale du réel et prétend attribuer une seule et même manière d’exister (matérielle) à tout ce qui est. Les philosophies matérialistes nient la réalité des êtres immatériels (Dieu ou l’âme) et critiquent les dualismes traditionnels (celui de la nature et de la culture, de l’humain et du non-humain, du corps et de la pensée…). De Démocrite à d’Holbach, en passant par Épicure, Lucrèce, ou Giordano Bruno, elles conduisent à inscrire intégralement l’être humain dans l’histoire naturelle et dans des relations dont il ne peut être séparé.

Pour ces raisons, les pensées matérialistes sont des ressources fécondes pour penser philosophiquement les problèmes écologiques : elles comptent parmi les alternatives philosophiques à la longue tradition anthropocentriste, qui proclame l’exceptionnalité de l’être humain, acte sa rupture irréductible avec le reste de la nature, ou en fait l’être chéri de la Création. Cependant, malgré ces principes communs, les matérialismes se sont développés selon des voies divergentes et, parfois, au prix d’oppositions frontales dont nous héritons encore aujourd’hui. Marx et Engels, par exemple, dans la Sainte Famille, distinguent une tradition naturaliste, fondée sur l’étude scientifique de la nature, d’une tradition socialiste, attachée à l’étude des phénomènes sociaux3.

La controverse actuelle entre les « nouveaux matérialismes » et les « éco-marxismes » rejoue certaines scènes de cette histoire. Les pensées néo-matérialistes et éco-marxistes divergent d’abord quant à l’objet prioritaire du matérialisme : est-ce la matière en général, incluant le corps humain autant que toutes les matérialités non-humaines ? Ou, au contraire, est-ce prioritairement l’être humain et les circonstances sociales ? Une autre divergence d’importance concerne la méthode du matérialisme et le type de discours qui lui correspond : le matérialisme se présente-t-il comme une ontologie, ou comme l’analyse d’une situation historique particulière dans laquelle les humains entrent en relation de manière spécifique avec les autres êtres ? Comme une métaphysique ou comme une critique ? D’un côté, dans la lignée de Bruno Latour4, certain·es néo-matérialistes renoncent explicitement à la critique, accusée de reconduire un présupposé anthropocentriste, ou d’être purement négative. De l’autre, les éco-marxistes accusent leurs adversaires de proposer des ontologies dogmatiques invisibilisant les rapports de domination et, in fine, les perpétuant ; les approches néo-matérialistes pêcheraient ainsi par un oubli des relations sociales réelles. L’alternative serait alors celle entre une métaphysique de l’agentivité de la matière dépolitisante et une forme de critique anticapitaliste anthropocentrée.

Les crises écologiques contemporaines imposent pourtant de dégonfler ces oppositions et ces effets d’étiquette. Notre situation nous rappelle l’inclusion indépassable de l’être humain dans un monde naturel dont il subit les effets, en même temps que les conséquences d’une certaine manière de pratiquer socialement le monde. Une telle expérience impose de faire converger les chemins séparés et, plutôt que de choisir un camp, de chercher à articuler ce qui peut l’être, afin de construire un matérialisme complet.

Sans nier la divergence des méthodes et des idées, je propose de chercher à penser les points d’articulation possibles de ces corpus. Ces pivots sont de trois ordres : 1/ d’abord, une philosophie des relations et des réseaux humain/non-humains n’est pas incompatible avec la critique des rapports de pouvoir, mais elle est au contraire est son moyen concret ; 2/ ensuite, une théorie étendue du capitalisme, qui comprend celui-ci comme une méthode d’exploitation et d’appropriation de la productivité de la nature, suppose une métaphysique de la matière active ; 3/ enfin, la critique doit moins être comprise comme un outil reproduisant l’anthropocentrisme que comme une manière de rendre à nouveau visibles les processus et les travaux dévalorisés par la machine capitaliste. Dans les trois cas, il s’agit de sélectionner ce qu’il y a d’utile et de pertinent dans chacune des démarches et de réunir les chemins séparés du matérialisme dans une version nouvelle. Une version à la fois métaphysique et anticapitaliste.

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Articulation 1 – Agencements humains/non-humains et rapports de pouvoir

Si les « nouveaux matérialismes » ne forment pas une doctrine unifiée, mais plutôt un courant diversifié et protéiforme, ils partagent tout de même un certain nombre de principes communs. Parmi ceux-ci, on trouve la reprise d’une idée très largement partagée dans les études environnementales, selon laquelle « les Modernes » auraient strictement séparé la nature de la culture, l’être humain des non-humains. Ce récit caricatural, popularisé notamment par Bruno Latour dans Nous n’avons jamais été modernes, se retrouve chez les néo-matérialistes dans l’idée que « les Modernes » auraient séparé le pôle spirituel et actif du monde – les êtres humains – et son pôle matériel inerte – la nature. Diana Coole et Samantha Frost l’expriment de la manière la plus claire lorsqu’elles déclarent que

par distinction d’une matière passive, la philosophie moderne a dépeint de diverses façons les êtres humains comme des agents rationnels, conscients, libres et autonomes. De tels sujets sont non seulement jugés capables de donner un sens à la nature par sa mesure et son classement objectifs, mais ils sont également aidés dans cette quête par des théories dont l’application permet de manipuler et de reconfigurer la matière à une échelle sans précédent5.

Il y aurait ainsi une attitude typiquement moderne, fondée dans une représentation dualiste du monde, à la base de l’exploitation de la nature et de sa destruction. L’élaboration de philosophies matérialistes vise à dépasser le dualisme nature/culture, lui-même étant réinterprété comme dualisme du spirituel et du matériel6. L’originalité des « nouveaux matérialismes » est de traiter ces problématiques dans une perspective ontologique, c’est-à-dire avec la volonté de « revenir aux questions les plus fondamentales à propos de la nature de la matière et de la place des êtres humains incarnés dans le monde matériel » (Coole et Frost, 2010, p.3). L’ambition est ainsi de construire une représentation générale du monde alternative à la représentation dualiste.

Les « nouveaux matérialismes » se présentent alors la plupart du temps comme des ontologies relationnelles. Il s’agit en fait de réinscrire l’être humain dans les réseaux, assemblages hybrides ou systèmes hétérogènes qui le co-constituent et dont il ne peut jamais être séparé. Sur ce point, Karen Barad pousse la logique relationnelle à son paroxysme. Iel considère que les entités ne préexistent pas aux relations, mais au contraire que ce sont les relations qui constituent les entités. L’émergence d’individus doit alors être envisagée comme l’un des résultats d’un agencement pluriel. L’existence singulière d’un être vivant résulte par exemple du fonctionnement global d’un écosystème : chez Barad – dont l’inspiration provient moins des études sur le vivant que de la physique quantique – ce principe devient un postulat général d’interprétation du réel. La matière devient l’entité supra-individuelle à partir de laquelle émergent des individus singuliers. Il n’y a jamais de différences données, mais un processus de différenciation constant à l’intérieur d’une même matière. C’est pourquoi Barad, au concept d’inter-action, préfère celui d’intra-action, qui stipule que les individus émergent à partir d’un processus interne d’auto-différenciation de la matière7.

Les « nouveaux matérialismes » considèrent que les entités ne préexistent pas aux relations, mais au contraire que ce sont les relations qui constituent les entités.

Redescendons en abstraction. Ce principe relationnel implique de porter un nouveau regard sur la façon dont les humains sont liés aux autres êtres du monde : non seulement les autres vivants, mais aussi les matérialités non-vivantes. Jane Bennett, par exemple, désigne sous le terme d’« agencements8 » des regroupements d’éléments divers venant à former des entités complexes agissant de manière unifiée. L’un de ses exemples phares est celui du réseau électrique. Dans un réseau électrique se mêlent des matières et des processus non-humains (l’eau de la rivière ou le charbon, suivant le mode de production de l’électricité), des produits transformés par l’activité humaine (l’aluminium présent dans les câbles des lignes à haute tension), d’autres êtres vivants (comme les oiseaux qui se perchent sur les lignes, ou les arbres qui poussent au-dessous et qu’il faut couper à intervalle régulier), mais aussi des éléments symboliques (l’ensemble des normes et règlements qui régissent l’entretien du réseau) et des enjeux économiques. Le réseau se présente ainsi comme un nœud extrêmement complexe de forces, de vivants, de non-vivants, de discours et de symboles qui nie concrètement la séparation d’un pôle humain et d’un pôle naturel : c’est seulement dans ce collectif que les électrons peuvent être produits et orientés de manière à allumer l’ampoule d’une lampe. L’être humain est toujours-déjà inséré dans ces réseaux, dont il ne peut être isolé, parce que la satisfaction de ses besoins vitaux et la production de son existence dépendent de telles hybridations. On aura reconnu ici les thèses de Bruno Latour (entre autres) sur l’enchevêtrement des acteurs humains et non-humains, mais portées à un niveau plus général : comme fondement d’une représentation de toute réalité – une ontologie.

Cependant, ces philosophies relationnelles s’accompagnent étrangement, à quelques exception près9, d’une critique de la critique sociale et de l’étude des rapports de pouvoir. Il faudrait s’en tenir au fait de l’hybridation, sans chercher à déterminer l’origine et les raisons de l’établissement de tels réseaux, ni si ceux-ci participent à la mise en place de relations asymétriques entre les éléments hybridés. Bennett déclare ainsi que « ce que la démystification découvre est toujours quelque chose d’humain, par exemple la quête cachée de domination de la part de certains humains sur d’autres […] ou une distribution injuste du pouvoir (humain)10. » En clair, la critique sociale, en débusquant des rapports sociaux derrière les phénomènes, reconduirait un présupposé anthropocentrique et invisibiliserait le rôle des matérialités non-humaines qui participent à nos existences. Elle séparerait ce qui est hybridé et, par ce processus d’épuration, ferait de l’agir humain et des formations sociales les raisons ultimes de toute chose. Pour les « nouveaux matérialistes », les formations sociales – et en particulier le capitalisme – sont le plus souvent considérées comme des objets abstraits, au sens littéral où ils sont les produits de l’isolement arbitraire d’une des strates de la réalité, privilégiant le pôle humain au détriment de tout ce dont il est pourtant indémêlable.

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Les éco-marxistes ont fortement critiqué les conséquences politiques d’une telle conception. Il est vrai que Bennett elle-même reconnaît que, dans un contexte relationnel, une version forte de la responsabilité est impensable. Analysant le cas de la gigantesque panne d’électricité qui a touché le nord-est des États-Unis en août 2003, elle déclare qu’« en mettant l’accent sur l’ensemble de la nature de l’action et sur les interconnexions entre les personnes et les choses, une théorie de la matière vivante présente les individus comme simplement incapables d’assumer la pleine responsabilité de leurs effets11 ». L’ontologie matérialiste conduirait à évacuer la question des rapports de causalité (qu’est-ce qui cause quoi ?) et impliquerait un état d’impuissance politique : comment agir dans un contexte où la causalité n’est plus identifiable ? On voit bien comment, appliqué aux crises écologiques, un tel modèle peut poser problème : que le réchauffement climatique soit le résultat d’un réseau d’agents chimiques, géologiques, économiques et politiques implique-t-il pour autant de renoncer à identifier l’action de certains groupes humains comme constituant son origine causale principale ? Finalement, pour ces raisons, les « nouveaux matérialismes » sont parfois présentés comme des philosophies invisibilisant les rapports de pouvoir, parfaitement compatibles avec leur perpétuation12.

Pour les « nouveaux matérialistes », les formations sociales – et en particulier le capitalisme – sont le plus souvent considérées comme des objets abstraits.

Pourtant, les notions de réseaux, d’agencements ou de collectifs ne conduisent pas nécessairement à l’invisibilisation des rapports asymétriques. Comparons pour le comprendre la manière dont Jane Bennett envisage la distribution de l’énergie électrique avec la façon dont Andreas Malm13 analyse, pour sa part, la généralisation de l’usage du charbon comme énergie dans l’industrie du coton britannique au XIXe siècle. Le paradoxe soulevé par Malm est le suivant : comment l’énergie hydraulique fournie par les rivières de manière (quasi) gratuite a-t-elle pu être supplantée par une énergie fossile telle que le charbon, dont le prix d’achat était supérieur à celui de l’eau qui s’écoule ? La raison principale doit être trouvée dans l’agencement spécifique d’une énergie (le charbon), d’une innovation technique (la machine à vapeur), et d’un rapport social d’exploitation (le salariat). Malm relève en effet que, si l’énergie hydraulique est disponible à même le paysage, elle est la plupart du temps localisée en dehors des grands centres urbains où les réserves de main d’œuvre s’amassent durant la révolution industrielle. Ceci implique que les capitalistes doivent non seulement implanter les usines là où les rivières coulent, mais qu’ils doivent aussi y importer des ouvrier·es, construire de quoi les loger et mettre en place des cités assez agréables pour que la main-d’œuvre désire rester sur place. En clair : la situation spatiale de l’énergie hydraulique implique un rapport de force plus favorable pour les travailleur·ses qu’à la ville, où la réserve de main-d’œuvre rend chacun·e interchangeable. Dans ce contexte, la combinaison du charbon, combustible fossile fragmentable, maniable et transportable facilement, et de la machine à vapeur, qui peut être installée là où se trouvent les ouvrier·es, devient progressivement un avantage décisif : elle permet l’implantation massive des usines de coton à la ville, au cœur du réservoir des travailleur·ses. De même, la nature du charbon permet de faire fonctionner les machines à la demande, permettant à l’industrie de s’affranchir de l’irrégularité du débit d’eau caractéristique de l’énergie hydraulique.

Comme Bennett, Malm décrit bien un enchevêtrement d’humains et de non-humains difficilement démêlable, mais il le fait en restituant les dynamiques de pouvoir qui rendent raison de cet enchevêtrement. Sans renoncer donc à une ontologie continuiste, une telle analyse l’enrichit d’une dimension critique : les réseaux sont ici des dispositifs concrets par lesquels une exploitation conjointe des ressources de la terre et du travail est mise en place. La notion d’agencement – et ses synonymes – est ainsi susceptible d’intégrer les questions de domination et d’exploitation, et ce sans courir le risque de l’anthropocentrisme. Malm fait certes du contexte social la cause prioritaire de la transition énergétique vers les combustibles fossiles au XIXe siècle, et il insiste largement sur la responsabilité des capitalistes anglais dans cette histoire, mais on peut tout aussi bien remarquer que ce sont les caractéristiques propres des combustibles fossiles qui rendent raison de leur intégration comme énergie faisant tourner la roue du capitalisme. Malm admet ainsi que, « concentré dans des sites souterrains sans autres emploi ou signification, le charbon pouvait être mis au jour des terriens sous formes de fragments, passant de main en main, circulant librement au sein des cycles de la marchandise et libérant les forces de l’accumulation14 ».

Autant dire que le capital dépend pour son déploiement des manières d’agir propres des combustibles fossiles et de leurs propriétés intrinsèques. Si le potentiel calorifique du charbon ne s’actualise que dans un contexte social spécifique, réciproquement les rapports de pouvoir capitalistes s’actualisent en fonction des propriétés des non-humains mobilisées. Le pouvoir n’existe jamais sans le contexte matériel qui le (co-)constitue. Le capitalisme fossile est ainsi le résultat de la conjonction entre un projet politique et les « matières premières optimales15 » pour sa mise en place. C’est un dispositif d’hybridation et d’exploitation des non-humains et de l’humanité qui repose autant sur des projets politiques que sur les qualités du monde par lesquelles ces projets se déploient.

Comme Jane Bennett, Andreas Malm décrit un enchevêtrement d’humains et de non-humains difficilement démêlable, mais il le fait en restituant les dynamiques de pouvoir qui rendent raison de cet enchevêtrement.

Articulation 2 – Capitalisme et matière active

Dans une approche marxiste classique, le capitalisme se caractérise avant tout par un ensemble de rapports sociaux spécifiques, au premier rang desquels se trouve le salariat. C’est en effet, selon Marx, par l’exploitation du travail salarié, c’est à dire par l’appropriation d’une partie de la richesse produite par les travailleurs, que le capital investi par les propriétaires des moyens de production est augmenté. Cependant, ce schéma a été fortement complexifié dans les dernières décennies. D’abord, à l’aune des perspectives féministes et des études coloniales : il est désormais clair que la plus-value du capitaliste ne repose pas seulement sur le travail salarié partiellement payé mais aussi sur des travaux non payés, tels que le travail domestique et reproductif des femmes, ou celui des esclaves dans les colonies. Ensuite, à l’aune des perspectives écologiques : comme le montre l’étude de la transition de l’énergie hydraulique à l’énergie fossile par Malm, l’augmentation du capital dépend tout autant de l’intégration des forces et des matières de la nature dans le processus de production. Ainsi le capitalisme change-t-il de sens : il n’est plus seulement vu comme un mode social de production reposant sur l’exploitation d’une partie de l’humanité, mais plutôt comme une manière de produire de la richesse à partir de l’exploitation conjointe des non-humains et de la plus grande partie de l’humanité.

Les travaux de Jason W. Moore radicalisent cette conception. Dans Le Capitalisme dans la toile de la vie, Moore plaide pour une compréhension élargie du capitalisme, qui « n’est pas un système économique ni un système social ; [qui] est une certaine façon d’organiser la nature16 ». Il faut ainsi s’intéresser aux dispositifs, aux relations entre humains et non-humains mis en place par les capitalistes en vue de la production de plus-value, ainsi qu’à leurs conséquences écologiques.

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L’exemple typique de Moore est celui de la culture des plantes sucrières entre la fin du XVe siècle et le XVIIIe siècle. L’exploitation du sucre dans cette période se caractérise à la fois par l’importation de masse d’une force de travail esclave venue d’Afrique, d’abord dans les îles de l’Atlantique comme Madère puis en Amérique du Sud, et par un processus de déforestation massive : il faut non seulement des champs défrichés pour cultiver les plantes, mais surtout du bois pour en extraire le sucre grâce au feu17. Dans cette configuration productiviste, la culture du sucre implique la création d’environnements spécifiques dans lesquels fonctionnent de manière imbriquée productivités humaine et non-humaine. Elle implique aussi la destruction conjointe de la force de travail esclave et des écosystèmes préexistant à l’exploitation. Enfin, parce qu’elle épuise les sols et détruit les forêts, pourtant indispensables à l’extraction du sucre, une telle économie suppose l’ouverture permanente de nouveaux fronts d’exploitation et la transformation des paysages à l’échelle mondiale. Dans cette perspective, la valeur économique produite est aussi le résultat de la captation, de l’appropriation et de la transformation de l’énergie de la nature et des processus qu’elle contient, comme l’est par exemple la photosynthèse, dans une forme compatible avec l’augmentation du capital. Ici, la question de la nature du capital est, littéralement, celle de la façon dont la nature est transformée selon le principe du capital.

À l’aune des perspectives féministes, des études coloniales de l’écologie, le capitalisme devient une manière de produire de la richesse à partir de l’exploitation conjointe des non-humains et de la plus grande partie de l’humanité.

Or, cette réinterprétation du capitalisme est articulée à une ontologie similaire à celle des nouveaux matérialistes. Ceux-ci se présentent en effet la plupart du temps comme des philosophies de l’agentivité (agency) de la matière. Dans Vibrant Matter, Bennett développe par exemple l’idée d’un « pouvoir-chosal » (Thing-power), c’est-à-dire d’une capacité des matérialités non-humaines à agir dans et sur le monde, et à influencer le cours des affaires humaines. Les preuves matérielles lors des procès, les vers dont l’activité souterraine est nécessaire à l’agriculture, les cadavres de rat qui se décomposent dans la rue18, manifestent une forme d’activité qui ne permet pas de les réduire à de purs objets inertes : ce sont de véritables « actants19 ». L’attention accrue envers l’agentivité non-humaine vise ainsi à lutter contre « l’image d’une matière morte ou parfaitement instrumentalisée, [qui] nourrit l’hubris de l’être humain, ainsi que nos fantasmes destructeurs de conquête et de consommation de la Terre15 » et qui, comme le dualisme nature/culture, serait un héritage de la période moderne. L’agentivité n’est pas une prérogative des êtres humains : elle est distribuée parmi toutes les entités qui peuplent le monde.

Pour Jane Bennet, l’attention accrue envers l’agentivité non-humaine vise à lutter contre « l’image d’une matière morte ou parfaitement instrumentalisée, [qui] nourrit nos fantasmes destructeurs de conquête et de consommation de la Terre »

Moore considère de même que l’histoire humaine repose sur un principe actif, génératif – autant dire agentiel – duquel elle ne peut jamais être abstraite. Ce principe prend chez lui le nom d’Oikeios, qu’il définit comme « une façon de nommer le rapport créatif, historique et dialectique entre – et aussi au sein de – natures humaines et extrahumaines20 ». La nature n’est ainsi ni une ressource à exploiter, ni un domaine d’être séparé de l’humanité, mais ce à travers quoi l’être humain agit parce qu’il en est une partie : ce que Moore nomme une matrice21. L’histoire est tout autant l’histoire de la manière dont les êtres humains, en tant qu’êtres vivants, ont modifié leur environnement, agissant sur lui, que l’histoire de la façon dont ils ont été modifiés par lui. Ainsi, dans cette version, le matérialisme historique est lié à un matérialisme ontologique dont le principe directeur est l’agentivité des naturalités, humaines et non-humaines. Si l’être humain peut modifier le monde dans lequel il vit et être modifié par lui, c’est en tant qu’il participe de la productivité universelle.

Cependant, Moore renonce à faire le pas suivant, qui consisterait à admettre qu’une telle ontologie de la matière active n’a pas seulement une valeur en tant que fondement d’un matérialisme historique renouvelé, mais aussi en tant que telle. Pour lui, en effet, l’agentivité non humaine n’a de sens que dans le cadre d’agencements réunissant humains et non-humains, comme le sont les dispositifs du capitalisme. Il déclare par exemple que « l’agir est (…) une propriété émergeant de configurations déterminées de l’activité humaine avec le reste de la nature. Et vice-versa. » (p. 62). Autrement dit, Moore réintroduit ici une distinction de poids : la capacité à faire histoire n’est attribuée aux non humains qu’en fonction de leur intégration ou participation aux projets humains. Plutôt que d’envisager l’historicité comme une dimension de tout processus, à l’intérieur de laquelle interviendrait l’agir humain, il en fait une prérogative humaine. Il y a d’un côté les « faits historiques » qui concernent l’humanité qui leur donne sens, et de l’autre les « faits élémentaires » (p. 64) de la nature non-humaine, sans histoire propre. On peut se demander dans quelle mesure la non prise en compte pour elle-même, de la productivité de la nature, indépendamment de son intégration dans l’histoire humaine, ne perpétue pas la dévalorisation de celle-ci, que Moore identifie par ailleurs comme un trait typique du capitalisme.

Ainsi, si la perspective éco-marxiste permet d’enrichir la théorie des agencements par l’étude des rapports de pouvoir, la perspective néo-matérialiste ajoute une dimension ontologique précieuse à la critique du capitalisme : non seulement au sens où le capitalisme mobilise l’agentivité des matérialités humaines et non humaines, qu’il organise de manière à produire de la plus-value, mais aussi au sens où s’intéresser à l’agentivité de la matière pour elle-même, c’est se donner les moyens théoriques de réfuter la dévalorisation des non-humains propre au capitalisme, qui accompagne et justifie leur destruction.

Articulation 3 – Critique et sensibilité : ce qui compte et ce qui ne compte pas

On le voit, une articulation est possible entre une métaphysique matérialiste et la critique des rapports de domination et d’exploitation. Dans son article « New materialism and the Eco-Marxist Challenge : Ontological Shadowboxing in the Environmental Humanities22 », Tobias Skiveren présente ainsi les approches néo-matérialistes et éco-marxistes comme étant compatibles ontologiquement, c’est-à-dire du point de vue de leur représentation générale du monde. Les controverses entre ces deux champs de recherche proviendraient avant tout d’un désaccord méthodologique. D’un côté, le néo matérialisme représenté par Bennett, se concentre sur la modification de nos affects et la réorientation de notre sensibilité : il s’agit de nous rendre attentif·ves aux matérialités non-humaines qui participent à notre existence et sont dotées de leur propre agentivité indépendante. De l’autre côté, l’éco-marxisme, représenté par Andreas Malm, insiste sur l’identification des responsables des crises écologiques. Dans cette lecture, les critiques des éco-marxistes relèvent d’un dogmatisme méthodologique qui décrédibilise toutes les manières de philosopher non orientées vers la dénonciation des rapports de pouvoir ou l’identification des individus et des groupes dominants à la racine de l’exploitation. Elles reproduisent aussi de manière évidente des normes de genre quant à la pratique et la fonction du savoir : les néo-matérialistes (principalement des autrices) travaillent sur les affects et la nécessité de faire attention aux altérités non-humaines ; les éco marxistes (principalement des auteurs) s’intéressent à l’analyse du pouvoir et de sa distribution. Selon moi, si ces distinctions méthodologiques sont indéniables, un matérialisme complet doit néanmoins pouvoir les dépasser. Il s’agit alors de donner un sens politique à la sensibilité et d’enrichir par là même notre compréhension de la méthode critique.

Si la perspective éco-marxiste permet d’enrichir la théorie des agencements par l’étude des rapports de pouvoir, la perspective néo-matérialiste ajoute une dimension ontologique précieuse à la critique du capitalisme.

Tel que redéfini par l’approche éco-marxiste, le capitalisme est non seulement une méthode d’exploitation et d’appropriation de la nature, mais aussi, en conséquence, une méthode de dévalorisation de celle-ci. Dévalorisation économique autant que symbolique : puisque dans le système marchand de production la seule valeur est la valeur d’échange, alors tout ce qui n’est pas payé est privé de valeur. La dynamique d’appropriation explique ainsi concrètement la distinction entre ce qui compte et ce qui ne compte pas. Elle explique aussi comment la partition entre nature et culture s’applique à l’intérieur-même de l’humanité, justifiant l’exploitation et la domination de certains groupes sociaux par la nature supposée des membres qui les composent. Ainsi l’appropriation s’accompagne-t-elle d’un processus de naturalisation des êtres appropriés : car, dans ce cadre, la nature, c’est « l’ensemble des réalités n’ayant pas de valeur, disponible pour l’appropriation23 ». Le capitalisme se caractérise par un processus de naturalisation qui justifie et renforce l’exploitation productiviste du monde. C’est dire qu’il définit aussi un type de sensibilité, une manière d’expérimenter le monde dans laquelle la plupart des êtres et des processus sont invisibilisés parce que dévalorisés.

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Or, une des ambitions les plus constantes des « nouveaux matérialismes » est précisément de modifier notre expérience du monde. Ici encore, Bennett est la plus explicite : sa philosophie est conçue comme une manière de nous rendre attentif·ves à ce que le regard « moderne » invisibilise. Elle va jusqu’à parler d’une « manière de percevoir contre-culturelle24 », qui consiste à apprendre à voir la participation et l’engagement des êtres non-humains dans la productivité de la nature – et donc dans notre propre vie. Une telle réforme de la sensibilité passe par la modification de nos récits : plutôt que de débusquer l’activité humaine sous les phénomènes, comme dans l’approche du matérialisme historique, on insistera sur la participation des vers de terre, par exemple, ou de la photosynthèse, dans l’histoire de l’agriculture humaine. Ainsi se construit selon Bennett la possibilité d’une sensibilité écologique.

Une telle méthode a certes ses défauts : elle présuppose par exemple, de manière paradoxalement idéaliste, que c’est en modifiant nos représentations du monde et les affects qui y correspondent que l’on modifiera nos pratiques. Mais elle contient aussi quelque chose de précieux qu’on doit pouvoir retenir : l’identification d’une dimension politique de la sensibilité. En effet, si la tentative de réorienter notre sensibilité sans comprendre les rapports de pouvoir qui la constituent est impuissante, réciproquement, une critique des rapports de pouvoir est pareillement impuissante si elle ne s’accompagne pas d’une réorientation de la sensibilité.

Le processus de dévalorisation, au cœur du capitalisme, est en même temps un processus d’invisibilisation : il consiste à intégrer dans la production économique du travail et de l’activité sans les payer, c’est-à-dire sans reconnaître que leur appropriation participe, de fait, au processus de valorisation du capital. Dès lors, l’identification et la critique de ces processus de dévalorisation consistent en même temps à rendre visible ce qui était invisibilisé. Les études féministes ont par exemple mis au jour que l’appropriation gratuite du travail reproductif effectuée majoritairement par les femmes25 est une condition constitutive de l’augmentation du capital : elles ont ainsi permis de reconnaître comme travail (non-payé) ce qui était considéré comme des tâches naturellement dévolues aux femmes. Elles ont rendu visible ce qui ne l’était pas du fait des rapports de domination. Il en va de même de l’embrigadement des non-humains, vivants ou non-vivants, dans l’augmentation du capital : il s’agit de nous rendre attentif·ves à ce que le capitalisme recouvre et dissimule par son fonctionnement.

La critique correspond aussi à un mode d’attention : elle consiste à faire rentrer dans le domaine du sensible ce qui en était exclu et à revoir les partages entre ce qui compte et ce qui ne compte pas. Une politique de la sensibilité est nécessairement impliquée dans la critique des rapports de pouvoir. Et, de même, la constitution d’une sensibilité écologique doit en passer par la mise au jour des processus concrets de dévalorisation des humains et des non-humains. C’est alors la critique elle-même qu’on repense. Elle n’est ni une méthode anthropocentrée qui retrouve des raisons sociales au fondement de tous les phénomènes, ni simplement méthode négative de dénonciation des rapports de pouvoir, ou une manière de distinguer indûment ce qui est hybridé ; elle est une méthode de revisibilisation de l’activité des êtres (humains et non-humains) et des liens que nous tissons, contre leur dévalorisation capitaliste. Au plus proche de son étymologie, critiquer consiste à discerner, c’est-à-dire à apprendre à voir et à porter notre attention sur ce qui demeurait recouvert.

Bien sûr, discerner ne suffit pas : on peut très bien voir et savoir sans agir. Les modes d’attention ne sont pas par eux-mêmes des modes de transformation. Mais, parce qu’ils sont susceptibles d’identifier une situation commune d’exploitation de groupes humains et non-humains, ou de faire prendre conscience de l’agentivité des matérialités soumises à la machine capitaliste, et donc aussi des manières de lui résister, ils permettent de redéfinir l’action politique en contexte d’écocide, ouvrant la perspective de nouvelles formes d’alliances entre humains et non-humains et d’une recomposition de la lutte politique26. Une sensibilité critique potentialise la dimension affective de manière à la transformer en force pratique.

La première des articulations proposées ici entre les adversaires néo-matérialistes et éco-marxistes concerne la façon dont une philosophie relationnelle, partant des liens établis entre l’être humain et les matérialités non-humaines, fournit les outils pour étudier les rapports concrets de pouvoir et d’exploitation. C’est précisément selon la forme des relations, des réseaux ou des hybridations que peut s’établir le rapport de pouvoir.

La deuxième de ces articulations permet d’envisager le capitalisme, non pas seulement comme un système social de production, mais comme une manière d’organiser la nature susceptible d’en capter la productivité et de la transformer en plus-value. Ressaisi dans le cadre d’une métaphysique de la matière active, le capitalisme est un processus d’appropriation et de réorientation de cette activité.

Enfin, la troisième articulation concerne le potentiel critique d’une sensibilité portée sur l’agentivité non-humaine, qui s’oppose à la dévalorisation proprement capitaliste de la « nature » et rend ainsi possible une redéfinition des modalités de la lutte pratique.    

Il n’y a pas à opposer la critique politique des rapports de pouvoir concrets à la métaphysique comprise comme discours plus général sur la nature du réel et la place de l’être humain dans le monde. C’est précisément parce que les êtres humains sont des corps matériels plongés au milieu d’autres corps matériels que leurs agentivités, socialement combinées, sont des forces de transformation du monde. Si, dans l’histoire de la philosophie, le matérialisme a souvent été une pensée sulfureuse et radicale27, c’est aussi dans la mesure où il ne sépare pas les questions métaphysiques des questions politiques. Les crises écologiques ravivent le double besoin d’une compréhension fondamentale des rapports entre les humains et les autres êtres, ainsi que d’une analyse des conséquences de l’action délétère de certains groupes humains. C’est ainsi en-deçà des fausses séparations qu’il s’agit de revenir afin de fonder un matérialisme complet : anticapitaliste et métaphysique.

Image d’accueil : Photo de Steve Johnson sur Unsplash.

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Notes

  1. Notons cependant qu’en France les débats se sont plutôt structurés autour de la catégorie de « vivant » (chez des auteurs comme Baptiste Morizot par exemple) plutôt qu’autour d’un questionnement sur l’agentivité de la matière. Dans cet article, mon point de départ est l’état de la controverse dans les milieux académiques anglo-saxons et son inscription dans la longue histoire des philosophies matérialistes.[]
  2. D. Diderot, « Spinosistes », Encyclopédie, ou dictionnaire raisonnée des sciences, des arts et des métiers, Vol. XV, 1765, p. 474a.[]
  3. F. Engels et K. Marx, La Sainte Famille, ou Critique de la critique critique. Contre Bruno Bauer et consorts, Paris, Les Éditions Sociales, 2019, p.152.[]
  4. Dans Nous n’avons jamais été modernes, B. Latour considère que la méthode critique conduit à distinguer par la théorie ce qui est toujours hybridé dans la pratique. En l’occurrence, c’est la critique qui distingue entre nature et culture, là où la pratique entremêle au contraire toujours humains et non-humains. Voir Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, [première édition 1991], 1997, La découverte poche, Chapitre 2 « Constitution », § « La puissance de la critique », p. 53-56.[]
  5. D. Coole et S .Frost, New materialisms. Ontology, Agency and Politics, 2010, Duke University Presse, Durham and London. p. 8.[]
  6. En ce sens, les nouveaux matérialistes reviennent à la distinction cartésienne originelle entre substance corporelle et substance pensante, dont ils font la matrice des autres dualismes.[]
  7. K. Barad, Frankenstein, la grenouille et l’électron, Asinamali, 2023, p.49-50.[]
  8. Ce concept est repris par Bennett à Deleuze et Guattari.[]
  9. Rosi Braidotti tente par exemple d’intégrer la critique du capitalisme à sa pensée du posthumain. Voir par exemple « Posthuman Critical Theory », Journal of Posthuman Studies, vol. 1, n. 1, 2017, p. 9-25.[]
  10. J. Bennett, Vibrant Matter. A political ecology of things, 2010, Duke Université Press, Durham and London, p. xv.[]
  11. Ibid., p. 37. Notons tout de même que Bennett ajoute tout de suite que le concept d’assemblage atténue certes la responsabilité des acteurs humains, mais ne la supprime pas. Elle l’intègre plutôt dans un contexte relationnel et permet même, selon elle, de mieux la cerner.[]
  12. C. Leduc, « L’enchantement de la machine : la nature systémique du néo-matérialisme », 2022, Cahiers Société, 4, p. 95-114.[]
  13. A. Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’heure du capital, 2018, La Fabrique, Paris.[]
  14. A. Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’heure du capital, op. cit., p. 128.[]
  15. Idem.[][]
  16. J. W. Moore, Le Capitalisme dans la toile de la vie. Écologie et accumulation du capital, 2020, Toulouse, l’Asymétrie, p. 17.[]
  17. J. W. Moore, L’Écologie-monde du capitalisme. Comprendre et combattre la crise environnementale, 2024, Paris, Éditions Amsterdam, p. 94-96.[]
  18. Ces trois exemples sont ceux de Jane Bennett dans Vibrant Matter.[]
  19. Ibid., p. ix. [je traduis].[]
  20. Moore, Le capitalisme dans la toile de la vie, p. 60.[]
  21. Idem.[]
  22. Paru dans Environmental Humanities, 15 : 2 / July 2023, et traduit en français sur Terrestres.[]
  23. Paul Guillibert, Exploiter les vivants. Une Écologie politique du travail, 2023, Éditions Amsterdam, Paris, p. 74.[]
  24. Vibrant Matter, p. xiv.[]
  25. Voir par exemple S. Federici, Le C     apitalisme patriarcal, 2019, La Fabrique.[]
  26. Dans le contexte français, c’est le chemin ouvert par Léna Balaud et Antoine Chopot dans Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres, Paris, Seuil, Anthropocène, 2021.[]
  27. Pour ne prendre des exemples que dans le 18e siècle, au moment où le mot « matérialisme » se répand, Diderot a été emprisonné pour ses écrits ; La Mettrie a dû s’exiler ; Helvétius a dû publiquement renier son livre De l’Esprit.[]