Nous sommes en train de vivre un génocide, ce mot que beaucoup de gens refusent d’employer parce qu’ils considèrent qu’il est réservé à un seul peuple. Moi, je peux vous dire qu’on est en train de vivre un gazacide, un palestinocide, un génocide « spécial Palestiniens », « spécial Gazaouis », avec des méthodes de tuerie et des boucheries comme on n’en a jamais vu : bombardements 24 heures sur 24, jour et nuit. Un arsenal militaire inédit qui tue les gens dans leurs maisons, sous leurs tentes, dans les écoles, les hôpitaux, dans la rue. Des déplacements forcés d’un quartier à l’autre, du nord vers le sud, de l’ouest vers l’est, de l’est vers l’ouest, de l’ouest vers le sud. Affamer les gens, anéantir le système de santé, laisser mourir lentement, sans soins, les patients atteints de maladies graves et les blessés.
« Obeida est mort. Il avait 18 ans », chronique de Rami Abou Jamous parue dans OrientXXI le 17 juin 2025
Bombardements, assassinats, famine… À Gaza, la situation est insupportable. Ce printemps, de plus en plus de médias français le reconnaissaient – jusqu’à ce que l’attention ne se détourne vers l’Iran suite aux frappes israéliennes. Mais il y a bien longtemps que la situation est insupportable. Le journaliste Rami Abou Jamous en témoigne dans ses chroniques régulières pour le site OrientXXI et dans deux livres. Le premier, Journal de bord de Gaza, est un recueil de ces chroniques paru chez Libertalia/OrientXXI en 2024 (nous en avions publié un extrait ici). Le second s’appelle Gaza, Vie. L’histoire d’un père et de son fils, il a été écrit en collaboration avec Lilya Melkonian et est paru chez Stock en mars dernier. L’extrait qui suit en est tiré (pp. 121-134).
Les semaines passent et la vie à Rafah est de plus en plus intense. Je sens que je change, comme la plupart des déplacés. Les mêmes doutes, les mêmes craintes. Et, inéluctablement, avec le temps, nous acceptons l’inacceptable, nous nous habituons à cette nouvelle vie d’humiliations.
[Ma compagne] Sabah et moi avons le sentiment paradoxal d’être davantage en sécurité, parfois la guerre semble derrière nous, puis les mauvaises nouvelles nous rattrapent. Pas un jour ne passe sans qu’on nous en annonce. Tel ami est mort à Khan Younès. Tel autre voisin de Gaza Ville aussi. Tel membre de la famille de Sabah n’a pas survécu à un bombardement à Nousseirat. Les drames s’enchaînent : j’apprends le décès de Bilal Jadallah, mon ancien associé, avec qui j’avais fondé la Maison de la Presse. Il avait arrêté le fixing, et à force d’assister à des rencontres de diplomates dans le cadre de ses fonctions, il avait développé des ambitions politiques. Je le considérais comme un grand frère. Nous nous sommes vus pour la dernière fois à la Maison de la presse et je me souviens qu’il s’inquiétait des conséquences de la guerre sur l’avenir de la bande de Gaza. Il a été tué en essayant de se réfugier dans le Sud, comme nous. Je suis bouleversé. Je ne peux décrire la tristesse qui nous envahit à mesure que nous apprenons le décès de ces êtres si chers à nos cœurs.
C’est comme si nous nagions en pleine mer et qu’un courant nous éloignait du rivage. Alors que nous essayons de garder la tête hors de l’eau, un tourbillon sous-marin tente de nous couler. Parfois, l’un de nous est pris dedans et sombre vers les profondeurs de la mort. Pendant ce temps-là, nous y restons coincés, en vie, mais toujours prisonniers. Lors de cette tentative de survie, nous perdons la profondeur de nos émotions.
La ville de Rafah est à l’image de la situation de la bande de Gaza. Elle change vite, et beaucoup. Jusqu’à présent il n’y a pas eu ici d’incursion terrestre. C’est pour ça que nous avons choisi d’y poser nos valises plutôt qu’à Deir el-Balah, comme un ami nous l’a proposé, ou chez un autre à Khan Younès. Mon pari, c’est que les Israéliens descendront du nord vers le sud de la bande de Gaza au fur et à mesure, et que Rafah sera la dernière ville à être ciblée. Visiblement nous ne sommes pas les seuls à le croire. Avec le temps, l’endroit se densifie. À notre arrivée, à la frontière avec l’Égypte, le long du mur d’acier, de béton et de barbelés, il n’y avait pas de déplacés. Les gens savaient qu’il ne fallait pas trop s’en approcher. Maintenant qu’il n’y a plus de place dans l’enceinte de la ville, nous avons vu s’y ériger des tentes, des toits de tôle, des bâches. Chaque évacuation d’une ville, récemment Nousseirat, amène son lot d’habitants et de réfugiés d’autres zones qui viennent s’ajouter aux milliers d’exilés. Au début de la guerre, Gaza a été divisé en 2 300 blocs par les Israéliens, ces blocs leur servant aujourd’hui à organiser notre évacuation. À ce moment-là une grande partie des habitants refusaient de partir. Mais face aux tueries et aux « israéleries », ils ont fini par s’y plier. Nous avons compris de quoi cette armée était capable, et désormais, à la moindre instruction, tout le monde accourt vers le Sud, où les gens s’entassent et sont humiliés.
Chaque jour, je vois défiler un flot continu d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants en charrette, en bus, en camion ou à pied, qui, après avoir vécu les uns sur les autres à l’hôpital Al-Shifa ou dans les écoles de l’UNRWA, s’installent à Rafah. Pour certains, c’est le troisième ou quatrième déplacement. C’est ce qui est arrivé à mon ami Hassoun, le chauffeur de Gaza Presse, mon vendeur de cosmétiques. Après avoir dormi devant l’hôpital Al-Shifa, celui que je considère comme mon petit frère s’est réfugié chez un ami à Nousseirat, emmenant ses parents, son frère, sa femme et ses deux enfants. Il y avait son propre logement dans un immeuble où une soixantaine de personnes s’étaient entassées. Puis Nousseirat a été attaqué, il m’a donc appelé pour m’annoncer qu’il nous rejoindrait à Rafah. J’ai cherché en vain un logement digne de ce nom pour eux. Ils ont fini par s’installer sous une tente. J’ai tout fait pour qu’ils y vivent dans de bonnes conditions. Avec Hassoun, nous avons construit des toilettes à côté de la tente, pour que lui et sa famille aient leur intimité. Parce que dans ces camps de fortune, tout le monde partage tout. Quel déchirement de voir les femmes et les enfants faire la queue nuit et jour pour soulager leurs besoins, prendre une douche ou espérer recevoir de l’aide humanitaire. Dans une société comme la nôtre, c’était inconcevable il y a peu de temps. Encore une humiliation. Nous avons donc creusé derrière la tente de la famille de Hassoun, puis nous avons cherché un panneau solaire afin qu’ils aient un peu d’électricité, pour leur éviter l’interminable file d’attente dans les écoles ou les hôpitaux – où l’on trouve toujours de l’électricité pour recharger les portables, les lampes torches ou les batteries de secours. Nous l’avons payé 1 200 shekels, contre 200 shekels avant la guerre. Un vrai business est en plein essor : pour gagner un peu d’argent, les heureux propriétaires d’un panneau solaire revendent aujourd’hui du courant – 1,35 euro la recharge du téléphone portable.
Ensuite, nous avons déniché des tapis, des chaises, des matelas, des couvertures, une batterie de secours pour alimenter des LED. De façon surréaliste, nous avons aménagé cette tente de 5 mètres carrés – un bout de tissu pour neuf personnes qui ne protège ni de la chaleur, ni du froid, ni des bombes – comme si nous achetions des meubles pour son nouvel appartement. C’est la première fois que je me sens aussi impuissant. J’en ai pleuré, je ne m’en remets pas. Je comprends désormais la frustration de mes frères exilés aux États-Unis, désespérés de ne pouvoir m’aider. Ils transfèrent régulièrement de l’argent sur mon compte, mais les deux seules banques de Rafah ont de moins en moins de liquidités. Au départ, nous pouvions retirer des espèces avec des montants plafonnés. Maintenant, il n’y a plus du tout de liquide dans les distributeurs. Il faut passer par un réseau de bureaux de change, un circuit parallèle : contre un virement, leurs propriétaires nous donnent de l’argent liquide, en prélevant au passage 20 ou 30 % de frais de service. Grâce à nos virements, ils achètent des marchandises provenant d’Israël et d’Égypte qu’ils nous revendent ensuite à des prix exorbitants. Il y a aussi des Palestiniens qui profitent de la guerre.
Quelques semaines après notre arrivée à Rafah, la famille de Sabah elle aussi nous a rejoints. Ses parents, ses frères et sœurs, chacun son conjoint et ses enfants. Au total une trentaine de personnes. Ils sont partis de Nousseirat après un message de l’armée israélienne leur demandant de quitter la ville. Ils souhaitaient prendre la route le lendemain mais les massacres ont tout de suite été très intenses. Ils ont donc décidé en urgence d’un départ pour Rafah en charrette et à pied, en pleine nuit. Ce soir-là, il pleut des cordes, le réseau téléphonique est coupé, et nous n’arrivons ni à les joindre ni à les localiser. Sans tente, la famille de Sabah passe une nuit dans la rue, sous la pluie. Quand nous les trouvons, le lendemain, j’active mon réseau et me démène pour leur dénicher une tente. Une petite tente qui, dans le reste du monde, servirait à faire du camping à la plage ou à la montagne. À Rafah, c’est devenu le rêve de toutes les familles gazaouies.
C’est une guerre psychologique : nous habituer à ces demi-vies. Comme lors de la Nakba de 1948. L’histoire se répète devant mes yeux et je ne peux m’empêcher de faire cette comparaison.
Évidemment, nous n’en trouvons pas. Comme pour Hassoun, il n’y en a plus nulle part. Des bâches, du bois et des planches leur permettront de se construire un refuge. Voir ces abris de fortune pousser partout est un véritable choc pour nous. Nous n’avions jamais vu ça, mais avec le temps, nous nous y sommes malheureusement habitués. Désormais, quand nous demandons à quelqu’un où il loge, nous ne nous attendons plus à ce qu’il donne l’adresse d’un appartement. Nous savons qu’il va nous parler du garage, de la bâche, de la tente ou de l’école dans laquelle il dort. C’est une guerre psychologique : nous habituer à ces demi-vies. Comme lors de la Nakba de 1948. À l’époque, les milices juives, notamment les Haganah, avaient expulsé la population palestinienne de ses villes comme Haïfa, Jaffa ou au nord du pays, vers des camps, sous des tentes. Ces tentes se sont ensuite transformées en toiles, en tôle, puis en dur. Aujourd’hui, ces lieux s’appellent des « camps de réfugiés ». Ceux par exemple de Yebna et de Fallouja sont en fait d’anciens villages entiers qui ont été déplacés en 1948 et 1967. Mes grands-parents l’ont vécu. Aujourd’hui, à Gaza, nous revivons la même chose : les habitants de Chajaya, de Beit Hanoun ont tous dû partir, et s’installent tous ensemble dans un même lieu, côte à côte. Se connaître entre réfugiés, c’est s’assurer une meilleure protection et du réconfort. 75 % des Gazaouis sont des descendants de ces victimes, survivants de la Nakba de 1948 qui avaient fui les massacres de ces milices juives. Les descendants de ces milices se sont transformés en armée, et opèrent de la même manière.
Lire aussi sur Terrestres : Suzanne Beth, « Démembrer et pulvériser les corps : sur la guerre d’anéantissement à Gaza », janvier 2025.
L’histoire se répète devant mes yeux et je ne peux m’empêcher de faire cette comparaison. J’y pense chaque fois que je regarde le visage de Sabah. À force de cuisiner sur un four d’argile, il rougit avec la chaleur et noircit avec la fumée. Je la complimente souvent en lui disant que ces nouvelles couleurs lui vont à merveille, elle qui a la peau si blanche semble bronzée. [Mon fils] Walid, lui, a gardé l’habitude de vouloir cuisiner avec nous, comme à Gaza Ville. Il est toujours dans nos pattes lorsque nous préparons le pain. Nous continuons à lui faire croire qu’à part le mode de cuisson, rien n’a vraiment changé dans notre quotidien. Il a appris à préparer du feu avec des brindilles de bois ou du papier. Quand je vois dans ces yeux à quel point il est heureux de vivre cette expérience, je ressens une immense tristesse. À deux ans et demi, il devrait être à la crèche ou à la maternelle, avoir un robinet d’eau chaude, un micro-ondes. Au lieu de ça il n’apprend rien d’autre que cette nouvelle vie, toujours plus dure. Pour autant, j’essaie plus que tout de transformer ces moments en joie. Je tente de métamorphoser notre réalité pour la rendre moins difficile à supporter.
Tout le monde à Rafah vit ce que nous vivons. Tout le monde a le visage noirci par la fumée des fours d’argile et le soleil, tout le monde a maigri, les traits de ceux que nous croisons sont tirés par la fatigue et l’inquiétude. Les enfants, leurs parents, les personnes âgées, soit 1,6 million de personnes chassées de chez elles par les bombardements, entassées, épuisées. Et depuis quelques jours, la pénurie fait irruption. L’aide humanitaire en provenance du terminal Rafah qui arrive d’Égypte est insuffisante, d’autant qu’elle passe d’abord par le poste de Kerem Shalom, et le contrôle de l’armée d’occupation, avant d’être enfin distribuée au compte-goutte. En plus de la faim, nous manquons progressivement de tout, y compris de produits d’hygiène. Pour les femmes, la situation est désolante. Elles utilisent des bouts de tissu en guise de serviettes hygiéniques. Pour les jeunes enfants, c’est la même chose : les couches sont quasiment introuvables. J’ai réussi à en acheter pour Walid, mais à un prix exorbitant. Le savon et le shampoing sont aux abonnés absents. Heureusement que j’en ai constitué un stock dès notre arrivée ici. Ceux qui n’en ont pas le fabriquent avec un mélange de maïzena et d’eau. Logiquement, le manque d’hygiène apporte son lot de maladies dermatologiques, pour la plupart moyenâgeuses, comme la gale.
La pénurie de gaz a poussé les gens à chercher du bois partout. Maintenant que le bois des arbres a lui-même commencé à manquer, les habitants scient les poteaux électriques pour les brûler ou se rendent jusqu’aux anciens tunnels qui relient Rafah à l’Égypte, bouchés depuis des années. Là-bas les galeries étaient soutenues par des structures en bois : elles ont donc été réouvertes pour en sortir les derniers piliers.
Des proches me racontent leur insoutenable quotidien : ils broient du bétail pour faire de la farine et du pain, ils mangent de la nourriture pour animaux ou des plantes sauvages comestibles qui poussent dans des terrains vagues.
Impossible, aussi, de trouver des chaussures neuves. À force d’errance, nos souliers se sont abîmés, déchirés. Partout, on aperçoit des petits pieds nus. L’autre jour, j’ai naïvement laissé ma seule paire à l’entrée de l’appartement, devant la porte, à côté des tongs des enfants. Elles m’ont été volées. Je suis resté en tongs pendant des jours, jusqu’à ce qu’un ami m’en prête. Il faut aussi faire attention aux vols de linge étendu aux fenêtres. Du jamais vu.
Face à tant de misère, les premiers larcins d’aide humanitaire ont débuté. Les camions qui les acheminent via l’Égypte traversent des camps de fortune. C’est devenu un jeu : des enfants organisent des barrages à l’aide de pierres pour essayer de bloquer quelques camions, espérant y trouver des cartons de nourriture ou de vêtements. Par semaine, seuls 50 véhicules sont autorisés par l’armée israélienne à pénétrer dans le territoire. Pour 2,3 millions de Gazaouis. Puis ce jeu d’enfants s’est transformé en pillage organisé par des clans, installés à côté du terminal de Kerem Shalom, sous les yeux de l’armée israélienne qui laisse faire. De là, ils détournent les marchandises. Ces camions sont protégés par les policiers du Hamas, ils sont systématiquement bombardés. Ils espèrent sûrement que ces deux groupes armés, les clans et le Hamas, s’entretuent après la guerre.
À force de ne manger que des boîtes de conserve et quelques rares légumes – quand nous avons les moyens de nous les offrir –, nous faisons l’expérience de la malnutrition. Pendant ce temps-là, au Nord, la famine est apparue.
Sur place, les proches avec qui je corresponds me racontent leur insoutenable quotidien : ils broient du bétail pour faire de la farine et du pain, ils mangent de la nourriture pour animaux ou encore des plantes sauvages comestibles qui poussent dans des terrains vagues. Au téléphone, la petite fille d’anciens voisins de notre tour me confie rêver de légumes et de viande, pas de chocolat. Accablé par son récit apocalyptique, je décide de tenter ma chance. Je me rends au terminal Rafah. Là-bas je passe devant chaque camion d’aide humanitaire qui s’apprête à rejoindre le Nord et demande aux hommes à bord s’ils accepteraient de transporter un petit sac avec quelques légumes et une conserve de viande hachée, que nous appelons ici la « Bolobeef ». L’un des chauffeurs m’entend : son frère s’y rend justement le lendemain. Il accepte d’embarquer mon paquet. Miracle, le colis parvient à mes voisins, qui m’ont décrit l’émotion de l’enfant en mangeant. J’en pleure de joie.
Lire aussi sur Terrestres : Forum palestinien d’agroécologie, « En Palestine, « L’huile qu’on attend un an, les soldats la jettent en un instant », février 2025.
Motivé par ce succès, je décide de tenter ma chance une deuxième fois. L’un de mes amis connaît un conducteur de poids lourd autorisé à livrer du fioul aux ONG étrangères à Gaza Ville. J’achète le matin même 15 kg de chaque légume que je trouve : des cagettes de tomates, de concombres, d’oignons et de pommes de terre, 20 kg de riz et des conserves de lentilles et de viande hachée, et les répartis dans deux gros sacs. Au total, cela représente 1 200 euros de nourriture que l’homme accepte de transporter discrètement dans son camion. Il me prévient dès le début : il est possible que les produits soient confisqués sur la route par les Israéliens. Par chance, tout s’est déroulé comme prévu. À l’arrivée, les sacs sont réceptionnés par mon ami Fadi dit « le moustachu ». Il me rappelle quelques jours plus tard : il s’est servi pour sa famille et a distribué le reste dans son quartier, sans dire que c’était de ma part, comme je le lui avais demandé. Quelques jours plus tard, il me décrit la joie des familles qui se sont régalées. Je suis chaviré par l’émotion.
Mais ma troisième tentative échoue… cette fois-ci l’armée d’occupation interdit au camion de passer. Pourquoi affamer des enfants ? Qu’ont-ils à voir avec le Hamas ?
C’est ainsi que des milliers de victimes sont morts parce qu’une application d’IA en a décidé ainsi.
Les Israéliens nous avaient demandé de nous réfugier à Rafah, soi-disant une zone sûre. Nous savions pourtant qu’il n’y aurait pas de zones sûres à Gaza. Et voilà que les bombardements s’intensifient ici aussi. Des immeubles entiers sont détruits, des familles décimées. Souvent, avec Sabah, nous nous arrêtons devant des décombres pour y lire des inscriptions peintes sur du béton : « Ci-gît tel ou tel membre de telle famille. » Ce sont des dépouilles que personne n’a réussi à sortir des gravats, faute de moyens. Des tombeaux en pleine ville parmi lesquels nous évoluons chaque jour : jamais je n’oublierai ces images, gravées à vie dans ma mémoire. Des écoles abritant désormais des centaines de familles sont aussi ciblées, sous prétexte que des membres du Hamas y vivent. Je ne comprends pas pourquoi les Israéliens ne profitent pas des sorties quotidiennes de ces hommes-là pour les tuer dehors, loin des femmes et des enfants. Pourquoi les viser une fois de retour dans l’école ? D’autant que les médias israéliens ont révélé que leur armée utilise un logiciel d’intelligence artificielle nommé « Lavender » pour déterminer leurs cibles. C’est ainsi que des milliers de victimes sont morts parce qu’une application d’IA en a décidé ainsi. Je me pose de plus en plus de questions sur la sécurité des miens, Sabah, Walid et ses demi-frères. Est-ce que je pourrais aussi être visé par l’armée d’occupation ? De nombreux journalistes le sont désormais. Devrais-je loger ailleurs qu’à l’appartement ? C’est la première fois que j’envisage de m’éloigner de ma famille. Mais un jour que je trouve le courage de lui confier mon angoisse, c’est Sabah qui répond à mes questions : « On vit tous ensemble, on meurt tous ensemble. » Que dire de plus ?
Photographie d’accueil : une femme fait brûler du papier et du nylon pour entretenir un feu, Gaza, avril 2025. Photo Hosny Salah sur Pixabay. Sa page Instagram : hosnysalahl
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