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Un mois et demi après son lancement, la Convention citoyenne pour le climat peine à susciter l’intérêt populaire espéré par ses organisateurs. Faut-il s’en prendre à l’aveuglement écologique des gens, plus soucieux de leurs fins de mois que de l’avenir de la planète ? On peut aussi voir dans ce désintérêt une forme de maturité politique : le coup de la « démocratie participative » organisée par ceux qui nous ont dépossédé de tout pouvoir sur nos vies, ça ne prend plus. « Lettre de cadrage » du Premier Ministre donnant à la Convention un objectif contraignant, « Comité de gouvernance » qui se charge d’« organiser » les débats et de maintenir les tiré.es au sort à l’intérieur du périmètre des questions jugées raisonnables, lobbying discret des grandes entreprises polluantes qui apportent aux tiré.es au sort leurs « solutions » à la crise écologique, division des causes réelles du désastre planétaire et social en mille petits problèmes d’écologie pratique déviant l’attention vers des solutions techniques ou localisées… : tout a été voulu, dès le début, pour que les travaux de la Convention accouchent d’une souris qui se perdra dans le courant des « réformes » gouvernementales.

On aurait tort cependant de sous-estimer la stratégie dont cette Convention n’est qu’une première étape. La convocation « d’assemblées citoyennes » apprivoisées par les gouvernants pour discréditer les autres formes de contestation est en passe de devenir un nouvel instrument de canalisation des rébellions sociales (en l’occurrence du mouvement climat). Tout cela ressemble fort au début d’une offensive réglée contre l’écologie des collectifs et des territoires en lutte, pour commencer à accréditer dans l’opinion les cadres de la bonne écologie : moderne, technologique, individualiste, administrée, apaisée et réconciliatrice, dure ou drastique aussi, quand notre bien le réclamera…

Écologistes et ami.es des autres luttes ne doivent pas regarder passer cette contre-offensive depuis leur fenêtre, en postulant qu’elle échouera parce que tout le monde partagera leur détachement critique. Il faut la faire échouer, ou elle emportera tout, comme l’offensive néo-libérale des années 1970 a tout emporté sur son passage, dessinant un monde dont nous avons tant de peine à sortir aujourd’hui.

De ce point de vue, ce sont les citoyen.es, les tiré.es au sort eux-mêmes, qui pourraient donner, lors de leurs prochaines sessions de travail, les premières impulsions pour faire déborder cette Convention dans un sens réellement démocratique et écologique. Aussi nous a-t-il semblé intéressant de publier cette tribune appelant les citoyen.es à s’emparer d’un pouvoir de délibération et de décision que le gouvernement leur a, bon gré, mal gré, reconnu.

Appel aux citoyen.es de la Convention pour le Climat

Une Convention citoyenne pour le climat se réunit depuis le 4 octobre dernier au cours de six sessions de trois jours, jusqu’en janvier prochain. Comment faire pour que cet essai de démocratie collective inédit, qui donne à 150 citoyen.es tiré.es au sort le pouvoir de délibérer des mesures à mettre en place pour réduire les émissions de CO2 de la France d’au moins 40% en dix ans, ne finisse pas en outil d’auto-promotion d’un gouvernement dont la politique réelle est, depuis deux ans, si massivement anti-écologique qu’elle a poussé Nicolas Hulot, ministère de l’Environnement pourtant modéré, à la démission ? Cela est possible à la condition que les tiré.es au sort s’appuient sur leur légitimité populaire pour changer la nature et l’objet de leurs prochaines délibérations. C’est à cette réappropriation démocratique que nous les appelons.

Votre légitimité passe infiniment celle du Comité de gouvernance !

Qu’est-ce qui vous rend légitimes, plus légitimes en tout cas que le Comité qui est censé vous « gouverner » ? Ce n’est pas le fait que vous ayez été tiré.es au sort selon des critères de « représentativité » socio-professionnels ou géographiques définis par un institut de sondage. Cette représentativité là n’a pas de valeur démocratique. Qu’une tirée au sort soit par exemple femme, bretonne et auto-entrepreneuse comme moi, ne garantit en rien qu’elle représentera fidèlement mes convictions politiques. Ce n’est donc pas le tirage au sort par catégories socio-professionnelles qui vous rend proches de vos concitoyens, mais plutôt le fait que vous partagiez leur situation de dépossession démocratique. En ce régime de « démocratie représentative » trompeur et agonisant, nous sommes tous réduits à n’être que des individus privés – privés de tout pouvoir politique réel. C’est cette dépossession commune qui fait de vous nos « semblables » et, en un sens, nos « représentants ». Représenter vos concitoyen.nes implique donc de ne pas vous laisser diriger par un Comité dépourvu de toute légitimité démocratique, et d’autre part de puiser dans les rencontres et les échanges avec vos concitoyen.nes, avec les associations et militants écologistes et sociaux, la richesse et la légitimité de vos interventions futures – comme le firent, avant vous, les délégués des États généraux en 1789 qui allaient le soir à la rencontre du peuple dans les clubs citoyens !

Subordonner le Comité de gouvernance

Qui s’est arrogé le droit de choisir à votre place, sans vous consulter, les thèmes, les modalités et l’organisation de vos débats ? Le Comité de gouvernance. Quelle est sa légitimité démocratique ? Elle est nulle et non avenue : ce sont pour l’essentiel des experts et des conseillers non tirés au sort, proches du pouvoir. Ne sous-estimons pas ce qui est en jeu dans ce contrôle doux, à peine visible, de vos débats par le Comité de gouvernance ! Une assemblée qui ne se saisit pas d’abord du pouvoir de fixer son ordre du jour, de décider ce dont elle veut débattre et ne pas débattre, n’est pas une assemblée libre ni démocratique : c’est une assemblée sous tutelle. Délibérer démocratiquement ne consiste pas, comme le Comité de gouvernance le présente, à avoir l’honneur de choisir entre des solutions possibles qu’on vous apporte toutes prêtes sous la forme d’« expertises ». Délibérer, c’est d’abord réfléchir ensemble, librement, sans entraves, à ce qui pose vraiment problème, c’est élaborer en commun les questions qui importent pour l’intérêt général, en écartant les faux problèmes – parfois contre l’évidence !

Ainsi, la Convention ne doit-elle discuter que des choix à faire entre des mesures techniques et sectorielles pour diminuer des émissions de CO2 abstraites, anonymes, qui semblent ne pas avoir d’origine sociale, ni de lien avec les structures de notre régime économique ? Ou bien doit-elle organiser ses débats à partir du constat, établi par de nombreux économistes 1, qu’il existe un lien essentiel entre l’aggravation massive des inégalités depuis 40 ans et l’aggravation des émissions de CO2 ? Cela fait deux problèmes et deux ordres du jour très différents : dans un cas on se contentera de toucher superficiellement aux effets (les produits ou activités qui émettent du CO2) sans s’attaquer réellement aux causes (les inégalités et surtout le mode de production économique qui les alimente, par exemple la mise à mort des exploitations paysannes artisanales et l’accaparement par l’agro-industrie d’exploitations de plus en plus grandes et polluantes) ; dans l’autre, on pose une question qui doit être importante puisque nos gouvernants ne veulent pas en entendre parler : à savoir que les remèdes à la crise écologique sont en réalité à chercher du côté d’une lutte d’ampleur contre la concentration et l’accaparement des richesses par une minorité.

Votre légitimité : être, comme chacun.e de nous, des individus privés de tout pouvoir

Comment défaire l’emprise que le Comité de gouvernance a étendu sur vos débats ? Il vous suffit de faire valoir la légitimité que le pouvoir exécutif lui-même vous a reconnue ! Pourquoi vous a-t-il convoqués si ce n’est parce qu’il admet tacitement que l’Assemblée Nationale, socialement oligarchique 2, a depuis longtemps perdu toute capacité de représentation démocratique ? Mais alors, de quel droit le Comité de gouvernance, assemblée de l’ombre dépourvue de toute légitimité populaire, pourrait-il contrôler le micro et préempter l’organisation de vos débats ? Il n’y a même pas concurrence de légitimités : c’est à vous de fixer vous-mêmes le cadre et l’objet de vos débats, et au Comité de vous assister dans ce travail si vous le demandez.

Tous d’accord sur la nature de la catastrophe écologique ?

Laurence Tubiana, Thierry Pech et d’autres organisateurs ont dit et répété que la Convention devait servir à passer d’un « consensus sur le constat » du changement climatique à un « consensus sur les solutions ». Il n’y aurait donc pas à débattre du constat, c’est-à-dire des causes du désastre écologique et climatique. Il faudrait (c’est une injonction) se concentrer sur les « solutions », et sur des solutions qui nous « rassemblent ». Mais l’écologie doit-elle vraiment « rassembler tout le monde », y compris les grandes entreprises mondiales qui sont, en toute connaissance de cause, les responsables et les profiteuses sans scrupule du saccage de la planète ? Faut-il se réconcilier avec Total qui continuera à explorer les mers du à la recherche de nouveaux gisements de pétrole jusqu’à faire de la Terre une étuve ? Il faudrait au moins que les citoyen.nes de la Convention aient le droit d’en discuter et d’en douter. En réalité, ce prétendu « consensus sur le constat » est une opération de camouflage : sa fonction est d’éliminer du débat public les questions qui fâchent, à savoir les causes profondes du dérèglement climatique, qui sont sociales, politiques et économiques, et n’ont rien à voir ni avec nos vies individuelles ni avec nos « choix » contraints de consommateurs ou de travailleurs.

Avant de se demander comment réduire les émissions de CO2 émises en France, il faudrait se demander ce qui les fait croître sans interruption depuis tant d’années. C’est cette question qui vous mettrait face à ce que le Comité de gouvernance veut tenir éloigner de vos débats : la remise en question des structures économiques (la croissance à tout prix, la compétitivité et l’attractivité comme objectifs inconditionnels) et politiques (la captation du pouvoir par une classe politique non représentative, acquise à la défense des intérêts des grandes entreprises) que la majeure partie des Français.es subit depuis trop longtemps.

Sortez du vase-clos institutionnel dans lequel le Comité de gouvernance, avec ses animateurs et ses experts, vous a silencieusement enfermés ! Appelons à ce que, parallèlement à la Convention citoyenne pour le climat, s’ouvrent partout en France des Clubs de la justice et du climat les soirs des weekends où se réunit l’assemblée : venez y rencontrer celles-ceux que vous devez représenter, et devenez cette assemblée réellement démocratique que les Français.es seraient prêts à reconnaître !

Signataires 

Désobéissance Ecolo Paris

Extinction Rebellion PACA

Réseau Foi et Justice Afrique-Europe

Youth For Climate Paris/Île de France

Youth For Climate Lozère

Youth For Climate Saint Julien en Genevois

Notes

  1. Par exemple Thomas Piketty, Lucas Chancel ou encore Jean Gadrey.[]
  2. Une étude récente de l’Observatoire des inégalités montre que l’Assemblée Nationale élue en 2017 ne compte quasiment plus de représentants des milieux populaires. 4,6 % des députés sont employés, mais aucun n’est ouvrier, alors que ces deux catégories représentent la moitié de la population active. À l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 76 % des élus, soit 4,4 fois plus que leur part dans la population active.[]