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Ça a six pattes, ça n’a pas d’ailes, ça a un corps allongé,
gros comme une mouche, un dos
Noir au milieu, orange sur les côtés, granuleux,
un peu comme une arbouse, mais qui ne
se mangerait pas (ou si?).
Ça se promène sur le bord de la table.
Ça n’a pas de nom, sauf en latin peut-être.
Le latin, c’est la langue des choses oubliées.
C’est la langue des êtres oubliés.
C’est une langue morte pour des choses mourantes.
Extinction de la langue annonciatrice de l’extinction des espèces.
Langue de formol.
Pour chaque espèce qui quitte les champs
Pour chaque espèce qui meurt
De mutation, dysfonctionnement, dégénérescence, empoisonnement, intoxication, retournement des sols, destruction d’habitat, overdose d’herbicides-pesticides-vermifuges donnés au bétail, donc donnés aux mangeurs des merdes du bétail ;
Pour chaque espèce d’oiseaux qui ne trouve plus de nourriture
Il restera
Quelque part
Un nom en « a, ae, arum ».
Épinglé dans un fichier
Épinglé dans un serveur désormais, dans un serveur fait de terres retournées, tamisées, chauffées, chimiquées, fait de métaux retournés, tamisés, forgés, fondus, soudés, fusionnés,
Le formol s’est pixelisé.
Dans la langue vivante binaire, il y aura des cimetières,
des mémoriaux des espèces
éteintes,
Des espèces chassées de leur terre, ou bien retournées elles aussi, tamisées, chauffées, chimiquées, chitines forgées, chitines fondues,
Mémorial d’espèces éteintes dans une langue elle aussi éteinte
et dans ce grand noir
sans interrupteur
Ne reste que la musique.
Alors on pourra jouer dans des espaces sans insectes
le grand récital de leur
nomenclature
À moins que
À moins que l’on réapprenne leurs noms
Qu’on les fasse redevenir
Vernaculaires
Qu’on leur laisse racines
Qu’on réapprenne le vertige des choses vertes,
Des choses végétales, grouillantes, rampantes, à chitines,
mandibules et écorces
Qu’on s’abreuve de leurs visions mouvantes minuscules,
Qu’on laisse nos peurs et nos appréhensions,
nos petits mouvements de reculs, nos
frissons de javel
Qu’on laisse voler les vernaculaires et ramper les bousiers
Qu’on se laisse émouvoir par les bousiers
Je ne plaide pas pour qu’on se minuscule
Ni qu’on se mette à leur niveau
Ni qu’on se latinise, nous
Qu’on se chitinise, nous
Ou qu’on apprenne à voler
Ou qu’on apprenne à ramper
Mais
Qu’on apprenne à innombrer nos gazons
À serrer de loin, de nos deux yeux, leurs six pattes
À refuser de tondre ce qui peut ne pas l’être
À refuser d’asperger ce qui peut ne pas l’être.
À se servir du latin pour dire des mots d’amour,
des carmen, des cara, des carus, des
« Carrisimae ! » tu cries, tu clamors à tes amours
Se servir du latin pour jouer aux jeux vidéos,
aux jeux de rôle ad amicos, inter nos,
Pour prier dieu même, peut-être, pourquoi pas,
mais pas le dos tourné aux visages,
plutôt le visage tourné vers nos cœurs, pour nous, pour soi,
une langue comme une
autre comme la langue de l’amour
Apprivoisons les proches en vivifiant l’antique
Ensauvageons le voisin
— sauvage vernaculaire —
En cheminant sans chimie
Berçons de classique les plantes
Apprenons leur la musicologie
En désactivant les principes
de la glyphosatologie.
—
Ce texte a été initialement publié dans la revue Cactus Calamité : Berry 7, publié par le collectif eispi.
La gravure qui illustre le texte a été réalisée par Séverine Dartois.