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1° Une nouvelle génération d’anthropologues nous rapporte aujourd’hui les mythes, pour la plupart encore vivaces, de peuples lointains, dans l’idée qu’ils pourraient nous permettre de mieux entrer dans le XXIe siècle et affronter la catastrophe écologique en cours. Ils s’appellent Philippe Descola, Eduardo Viveiros de Castro, Barbara Glowczewski, Florence Brunois, Nastassja Martin, Eduardo Kohn. Ils convoquent les récits de peuples animistes, nous parlent des mythes de la fin du monde, de perspectivisme1 ou du temps du rêve chez les aborigènes d’Australie. Leurs livres connaissent un succès grandissant auprès d’un public toujours plus large, lassé par les faux-semblants de la démocratie libérale, et exercent une fascination toujours plus forte sur nos esprits et nos vies acculés au fétichisme de la marchandise. À leur lecture, nous découvrons en effet qu’à des années-lumière de notre société de consommation désenchantée, d’autres peuples vivent encore tout autrement que nous le faisons, dans des mondes peuplés d’esprits, de signes, de dieux, de lieux sacrés, de rêves, de chants, etc. La longévité de leurs cultures et les rapports organiques qu’elles entretiennent avec leur « environnement » et la « nature » (termes qui, selon les anthropologues précédemment évoqués, n’ont par ailleurs aucun sens pour elles) constitue assurément un acte d’accusation pour notre prétendue « civilisation » qui s’emploie à détruire systématiquement les milieux de vie et à faire table rase de toute l’histoire humaine.

2° Là où le discours dominant semblait avoir oblitéré la possibilité même d’une alternative politique (au motif que « utopie ou grand récit = totalitarisme »), les anthropologues en question ouvrent non seulement une brèche dans nos habitudes de pensée, mais également un espoir de pouvoir changer enfin durablement de voie. De là la fascination que leurs écrits produisent immédiatement sur nous. Mais s’il y a bien là matière à réenchanter nos existences et, peut-être, à ébranler le colosse capitaliste, nous voudrions signaler ici la nécessité de se méfier d’un double écueil.

A. Transplantation cardiaque. Le premier écueil consisterait, devant l’incroyable richesse des conceptions du monde que les anthropologues nous rapportent, à vouloir les « importer » pour se les réapproprier telles quelles. L’engouement pour le chamanisme et les pratiques spirituelles venues de Sibérie ou d’Amérique du Sud témoigne à coup sûr à la fois d’un manque et d’un désir. Mais quand bien même on pourrait leur prêter des vertus à l’échelle individuelle, on voit mal quel salut nous pourrions en espérer à l’échelle collective. Les anthropologues ne s’y trompent d’ailleurs pas. Philippe Descola affirme par exemple que les pratiques chamaniques européennes sont « vidées de leur contenu », que « seuls les éléments superficiels des dispositifs cosmologiques ont été conservés », par conséquent qu’elles ne peuvent avoir « un effet profond sur la réorganisation en cours du naturalisme »2. Autrement dit ces mythes tellement évocateurs pour nous sont toujours, chez ceux qui les cultivent, plus que des mythes3. Ils sont inséparables d’une expérience vécue, d’une praxis, d’un rapport intégral au monde et au temps long de l’histoire collective. En ce qui nous concerne donc, les anthropologues l’indiquent, nous ne pouvons en avoir qu’une approche extérieure et spectaculaire.

B. Création ex nihilo. Face à ce que nous ressentons comme un vide de sens, à la fois politique et existentiel, face à l’impossibilité de le remplir avec ce qui fait la chair même du mode de vie traditionnel des Indiens d’Amérique, des Gwich’in ou des Aborigènes d’Australie, le deuxième écueil consisterait à l’inverse à vouloir inventer des mythes de toutes pièces – afin d’affronter la situation présente, et rouvrir un horizon d’action à partir d’un autre cadre existentiel, voire une autre cosmologie. Ces nouveaux mythes auraient certes le mérite de ne pas reconduire la posture néo-coloniale évoquée ci-dessus, en tant qu’elle induit une certaine de forme de pillage culturel, mais on voit mal quelle puissance d’agir ils seraient susceptibles de nous offrir, si tant est qu’ils doivent trouver à s’inscrire dans nos usages mêmes, et donc ne plus être envisagés comme des mythes à proprement parler. Répétons-nous : pour ceux qui s’y rapportent immédiatement, un mythe ou un grand récit, qu’il soit nommé « rêve » ou « parole des ancêtres », est d’abord un socle de sens pour l’action commune. Le fait que l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) s’emploie aujourd’hui, parallèlement à l’installation de  centres d’enfouissement, à inventer de nouveaux mythes ad hoc visant à nous tenir éloignés d’eux (comme celui des « radiochats »4) devrait nous mettre la puce à l’oreille. Loin de là, un mythe s’impose de lui-même, précédant ceux qui le trouvent tel quel et sont tenus par lui. Autrement dit un mythe ne tire sa puissance que du fait d’être un a priori, un toujours déjà-là inquestionné.

3° Si un mythe est un tel a priori, alors on ne peut ni le créer ex-nihilo, ni le cueillir chez les anthropologues : les récits qu’ils nous rapportent, émergeant de leur expérience autant que de celle des peuples étudiés, sont en effet doublement a posteriori. Nous nous retrouvons donc dans une impasse : tout en nous abreuvant de mythes d’une richesse et d’une profondeur inégalées, mythes dont nous pressentons au fond de nous qu’ils pourraient nous aider à sortir du marasme techno-marchand et de l’écueil naturaliste dans lequel nous sommes plongés, l’anthropologie nous en fait ressentir plus cruellement encore le manque – nous ancrant dans notre position d’impuissance, et nourrissant nos passions tristes. Situation bien inconfortable, qui ressemble à celle de Tantale : mis en appétit par ces récits, nous les voyons se dérober au moment où nous croyons pouvoir nous en saisir. Ainsi, et presque malgré elle, l’anthropologie nous renvoie incessamment à notre propre « système de croyances », ou du moins à ce qui serait notre indépassable a priori culturel (la Démocratie, l’Homme, l’Universalité, la Raison, le Progrès) et ontologique (sujet/objet, esprit/corps, rêve/réalité, vie/mort, etc.). Nous serions donc condamnés, pour conserver un semblant de dignité, à organiser la déconstruction ou la démystification systématique de cet a priori, laissant le vide se creuser autour de nous à mesure que nous nous acquittons de cette tâche.

4° Avant de se résigner à cette malédiction, et pour éclaircir les données du problème, il faut peut-être nous interroger sur la situation d’énonciation de l’anthropologie elle-même. Celle-ci parle depuis deux instances dont il conviendrait de faire l’examen à nouveaux frais, à savoir l’Université d’un côté, la Science de l’autre. Sans nous aventurer ici dans de tels développements, du reste largement défrichés par des penseurs comme Michel Foucault, Jacques Lacan, Pierre Bourdieu ou Jacques Derrida, il nous semble opportun de signaler que l’anthropologue parle des mythes depuis un lieu fictif au sein duquel les mythes n’ont pas cours – lieu nécessairement et absolument démythifié. En effet, en tant qu’elle veut faire œuvre de science, l’anthropologie se constitue en savoir ; savoir certes situé, dans la mesure où l’anthropologue est lié à un terrain, mais qui, pour satisfaire à l’objectivité à laquelle elle prétend, doit se présenter in fine comme non-situé. L’exigence de neutralité axiologique est justement ce point de vue de Sirius, ce nulle-part qui permet d’accéder aux mythes à partir d’un lieu où ils n’existent pas. Il y a donc un paradoxe : la découverte du fait que le monde non-capitaliste et non-occidental est saturé de mythes ne peut se faire que depuis un point de vue où ils sont absents. En d’autres termes, le point d’ancrage épistémique de l’anthropologue nous paraît être en phase avec ce vide de sens dont nous déplorons la présence et la croissance autour de nous. C’est peut-être même parce que les anthropologues parlent depuis un monde désenchanté que les mythes et les mondes qu’ils décrivent paraissent à ce point surenchantés en retour. Et nous pouvons nous demander, en définitive, s’ils ne participeraient pas à leur manière, malgré leur désir évident et sincère du contraire, au désenchantement de nos existences, en nous renvoyant toujours (par leur position même, mais aussi par les effets de comparaison qu’elle induit) à ce défaut insistant d’alternative, et donc d’horizon de désir et d’espoir, dans lequel nous baignons aujourd’hui.

5° Comment nous tirer d’affaire ? Et que faire malgré tout de ces récits que nous rapportent les anthropologues ? Tentons ici un renversement de perspective. Contrairement à l’image qu’il veut donner de lui-même (comme Vérité, Nécessité, Loi), le capitalisme est lui-même une formidable machine à produire des mythes (et à justifier les pratiques dévastatrices qui se fondent sur eux). Or si un travail de déconstruction est nécessaire pour faire apparaître ces mythes comme simples mythes, il faut se garder de croire qu’il nous confronterait, une fois achevé, au simple vide. En réalité, c’est à une surabondance de mythes que nous serions confrontés alors, et ce sont seulement la contradiction, le refoulement ou l’oubli de ces mythes nombreux qui constituent aujourd’hui ce qui nous condamne au sentiment de vide et à la dépression politique. Ce qu’il faut donc apercevoir, ce sera du moins notre hypothèse, c’est que la contre-offensive idéologique menée depuis les années 70 par les « militants de l’économie » prend sens dans le cadre d’une guerre des mythes, guerre de longue haleine au sein de laquelle le capitalisme a remporté plusieurs victoires décisives ces cinquante dernières années. Nous pensons que ces victoires se sont faites contre d’autres mythes, contre d’autres grands récits ; en l’occurrence, contre le communisme, mais aussi le marxisme, la philosophie, la psychanalyse, et bien avant cela, le paganisme, la sorcellerie, les sciences mineures et les savoirs vernaculaires. Autrement dit, la mythologie au sens large se présente toujours comme un champ de bataille au sein duquel s’affrontent des mythes concurrents. Les grands récits vainqueurs retranchés, il n’est donc pas vrai que nous ayons les mains vides – nous nous retrouvons au contraire devant le divers des mythes et récits vaincus. Or c’est peut-être là qu’il nous faut chercher matière à réenchanter nos existences de l’intérieur – c’est-à-dire conformément à notre histoire, à notre héritage, aux éclats assourdis d’un passé sciemment réduit au silence, et pourtant toujours nôtre.

Pourquoi trouver puissant le chaman mais douteux le rebouteux ?

6° D’autres récits ont été écartés, muselés, écrasés, et il nous revient peut-être de faire réentendre leur voix – une voix d’autant plus forte politiquement qu’elle est celle que les militants de l’économie se sont évertués à bâillonner. Certains penseurs ne nous ont certes pas attendu pour cela, cherchant dans notre héritage même les récits permettant à la fois de réenchanter nos existences et d’affronter sur leur terrain les spin doctors de la mythologie capitaliste : Jacques Rancière revivifie les motifs de la démocratie et de l’égalité (rendus à leur vérité historique et étymologique), Alain Badiou et Frédéric Lordon entretiennent le motif communiste, Georges Sorel exprime celui de la grève générale. Il nous faut assurément entendre ces récits, et pourquoi pas les hybrider avec ceux que nous pourrions trouver dans les savoirs vernaculaires, l’œuvre des poètes, les contes et légendes populaires que les folkloristes se sont échinés à collecter et qui continuent, d’une manière sourde, à nous travailler en profondeur. Mais cette opération ne va pas, loin s’en faut, et malheureusement, sans difficultés. Malgré le long travail de démystification que nous menons vis-à-vis du grand récit capitaliste, les discours martelés sur la Vérité et le Progrès ont fait quelques dégâts dans nos esprits, devenus cartésiens à leur corps défendant et nourrissant malgré eux doutes et réticences face à tout ce qui n’est pas parfaitement « rationnel ». À preuve cette tendance schizophrène à regarder le sourcier avec morgue et condescendance dans le même temps où on se laisse volontiers fasciner par le sorcier amérindien. Pourquoi trouver puissant le chaman mais douteux le rebouteux ? Nous ne disons pas ici qu’il n’y a pas de charlatans ; nous disons que certaines pratiques populaires et communément partagées autrefois se sont faites écraser, et que nous reconduisons parfois cet écrasement malgré nous5. Nous reproduisons ainsi peut-être, sans le savoir, toute l’ambiguïté de la posture de l’anthropologue. Si celui-ci s’autorise sur son terrain à se libérer provisoirement du cadre  général de la méthodologie scientifique (s’ouvrant ainsi à la rencontre véritable), c’est en effet pour mieux le réactiver dès qu’il retrouve son laboratoire (ou quand il est confronté, près de chez lui, à des pratiques dites « pseudo-scientifiques »). Car il importe en effet pour lui, face aux esprits positifs et aux néo-sceptiques de l’époque, qui s’évertuent à décrédibiliser les maîtres en réenchantement et les critiques portées contre la raison instrumentale (en tant qu’elle s’appuierait toujours sur un confondant dualisme ontologique), de se prémunir contre tout procès en irrationalisme.

7° Redonner du sens à nos existences nous impose de réévaluer les croyances de notre histoire passée, et de changer notre regard sur certaines pratiques qui ont encore cours ici et maintenant (mais pour combien de temps encore ?) afin de raviver celles qui nous paraissent adéquates pour être à la hauteur de la situation présente. Or pour y parvenir, il nous faudra sans doute déconstruire le concept même de rationalité en remplaçant le strict partage rationnel/irrationnel sur lequel reposent les sciences positives (partage qui est une opération politique visant à discréditer toutes les autres catégories de savoir), par la prise en compte de « régimes immanents de rationalités », où ce qui fait raison est articulé à chaque fois différemment à ce qui fait déraison6. Il s’agira aussi de redonner leur juste place aux êtres et phénomènes trop rapidement catalogués ici dans la catégorie de la superstition et de l’irrationnel, parmi lesquels les rêves, les esprits, les divinités, etc. – sinon de redonner une place à ce qui sort des chemins tout tracés de la raison. Mais il faudra plus : plus que déconstruire, reconstruire. Plus que dissoudre le point de vue qui se croit autorisé à dire qu’il n’y a pas d’alternative, faire montre d’une alternative expérimentable. Bref, il faudra être crédible.

8° Comment distinguer alors, dans le divers de cet héritage, entre les histoires, les savoirs oubliés, les récits, les légendes et les mythes ? Quels sont ceux qui pourraient redonner du sens à nos vies désenchantées ? Mais surtout quels sont ceux qui portent encore une charge de conflictualité forte ou qui pourraient en gagner une nouvelle ? Posons ici quelques jalons permettant de nous orienter.

A. Il sera d’abord nécessaire, pour que de tels récits soient plus que des mythes, qu’ils soient fondés en pratique, autrement dit qu’ils s’expriment à travers des usages inquestionnés, qu’ils participent de nos manières de vivre, sans quoi ils ne seront jamais autre chose que de simples croyances auxquelles nous nous rapporterons en nous adressant des clins d’œil7. Nous pourrions par exemple réactiver les récits liés à l’influence de la lune (semis et récoltes, amours et naissances, linge blanchi et loup-garou, rêves nourris et nuits debout…), récits peuplant jadis des pratiques quotidiennes que la Science s’est acharnée à remettre dans le droit chemin (et quand elle reconnaît la causalité lunaire sur les marées, elle ne manque pas de nier l’influence de celles-ci sur nos vies)8.

B. Il faudrait également qu’ils soient communément partagés. Il est évidemment impossible de fixer un seuil ou un point de bascule numérique, mais rappelons d’un côté que l’adhésion individuelle (expérience chamanique ou autre) nous paraît politiquement inoffensive en tant que telle, et, de l’autre, que l’adhésion majoritaire est évidemment un vœu vain. Entre ces deux extrêmes, il faudra travailler à des effets de contagion, d’écho et de redondance, en fonction de l’offensive menée (à l’échelle locale ou globale). Et dans cette perspective, nous pourrions par exemple reconsidérer l’importance de nos rêves nocturnes, en imaginant notamment qu’ils puissent être partagés, voire qu’il soit possible de rêver le rêve de l’autre et se lier à lui à même le travail d’interprétation.

C. Ils devront également porter à conséquence. Nous reconnaîtrons ainsi les récits adéquats à leur capacité à s’inscrire dans le champ polémique de la guerre des mythes – à être par eux-mêmes une prise de position immédiate. Peut-être était-ce déjà le cas des rêves éveillés de Nuit debout en 2016, qui avaient contraint Sarkozy à aggraver sa farce politique en s’enorgueillissant d’être « couché la nuit, debout le jour ». Et sans doute était-ce le cas du grand récit de l’horizontalité qui a traversé le dernier grand mouvement social : en plus de faire écho à la grève générale de Sorel, en refusant d’être identifiés et assignés à une revendication, les gilets jaunes ont assurément nui à la figure du leader unique et à la prétendue verticalité du pouvoir.

C’. Notons ici que se préparer à la guerre des mythes requiert trois précautions. Il faudra d’abord être conscient du fait que les contre-mythes ne sont pas tous compatibles entre eux. Il faudra ensuite se méfier des faux-semblants et des postures de puissances auto-déclarées (auxquels nous espérons que ce texte parviendra à échapper). Peut-être serait-il même utile de mener une réflexion sur les conditions de notre impuissance – et en faire le point de départ d’une nouvelle position offensive (n’est-ce pas justement quelque chose d’insupportable au grand capital ?). Il faudra enfin se méfier, et tout particulièrement, de la puissance de l’ennemi, de sa géniale capacité de récupération. Rappelons nous en effet que certains grands patrons citent volontiers Marx ou Foucault pour mener à bien leur entreprise, et que d’autres rachètent cyniquement les maisons d’éditions subversives, publiant des ouvrages dirigés contre eux9. N’oublions pas aussi que la spiritualité a ses effets de mode, et que loin de s’opposer au dogme capitaliste, des pratiques comme le bouddhisme ou le zen à l’occidental peuvent au contraire en être le parfait complément10.

D. Pour finir, plus positivement, il faudra que nos récits soient à même d’entrer en résonance et en dialogue avec les mythes des peuples lointains. N’est-ce pas en effet le meilleur rapport que nous puissions entretenir avec ces derniers ? Car la résonance n’est pas un simple écho, mais la réponse sans équivalence de l’autre au même. Loin de capturer ou de dupliquer les mythes qui font le cœur de leur être-au-monde, loin aussi de nous assigner à une posture de fascination, elle permettra de nous lier profondément avec ceux qui visent une autre habitation sensible du monde. Nous pourrons accompagner le point de vue de la minorité dont parlent les anthropologues sans jamais accepter d’être ceux dont les vies sont vouées au fétichisme de la marchandise. Et la comparaison, réflexe scientiste et conservateur, disparaîtra pour laisser place à la rencontre, qui est à la fois reconnaissance d’une altérité, voire d’une alternative, et malgré cela ouverture à un partage, sinon à un destin commun.

Notes

  1. « A partir de ses travaux auprès des sociétés indigènes des basses terres de l’Amérique du Sud, Viveiros de Castro a mis en lumière la « qualité perspective » de la pensée amérindienne, partagée par de nombreux peuples du continent, qui pense le monde comme habité par différentes espèces de personnes, humains et non-humains, qui l’appréhendent selon des points de vue différents. » Voir https://www.terrestres.org/2018/10/11/le-point-de-vue-est-dans-le-corps/[]
  2. La composition des mondes, Dialogue avec Charbonnier. Paris : Flammarion, 2014.[]
  3. En ces sens, le mot « mythe » lui-même, avec la tonalité négative ou du moins sceptique que nous lui prêtons souvent, le mythe comme « fabulation » (« ce ne sont là que des mythes »), est toujours le fait de ceux qui l’envisagent de l’extérieur. Depuis l’intérieur, les mythes, s’ils sont des récits, n’en sont pas moins authentiques ou authentifiés. Cf. par exemple le statut des noms de lieux, et les histoires qui leur sont associées chez les Apaches occidentaux dans Keith Basso, L’Eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, Zones sensibles, 2016.[]
  4. Il s’agirait ni plus ni moins, après avoir créé une race de chats qui changent de couleur à proximité de substances radioactives [sic], d’infuser dans les esprits des histoires qui associent ce changement de couleur à un danger imminent. https://www.numerama.com/sciences/231009-les-radiochats-et-lepineuse-question-de-la-memoire-des-sites-nucleaires.html.[]
  5. Certains ethnologues, comme Jeanne Favret-Saada, font justement l’effort de s’intéresser à ces pratiques, et se retrouvent aussitôt plongés dans une histoire dont ils sont partie prenante. Cf. notamment Les Mots, la Mort, les Sorts : la sorcellerie dans le bocage, Gallimard, 1977.[]
  6. Sur le concept de « rationalité scientifique », voir notamment Isabelle Stengers, L’Invention des sciences modernes, Champs-Flammarion, 2013.[]
  7. Typiquement, se rappeler nos origines océaniques quand on sale nos pâtes, ou faire en sorte d’être « cosmopolis ». Voir Morizot, Manières d’être vivant. Actes Sud, 2020. Ce genre de coquetterie doit précisément être distinguée, par exemple, de la sorcellerie pratiquée au sein de l’éco-féminisme.[]
  8. Charles Fourier, précurseur du socialisme et du féminisme français, demandait lui-même, au moment d’élaborer sa fameuse théorie de l’attraction passionnée : « Pourquoi la Terre a-t-elle une lune et Vénus point ? » Théorie des quatre mouvements, partie 1.[]
  9. Exemplairement La Découverte, née dans le sillage des éditions Maspero, qui rejoint en 1998 le groupe Havas (devenu Vivendi Universal Publishing début 2001, puis Editis en 2004).[]
  10. Voir par exemple Slavoj Žižek, « Une revanche de la finance mondiale », in Le Monde diplomatique, mai 2005 : https://www.monde-diplomatique.fr/2005/05/ZIZEK/12370[]